Depuis le début de la vague de réfugiés qui touche l’Allemagne, la politique d’ouverture d’Angela Merkel est contestée par la CSU, l’alliée bavaroise de la démocratie chrétienne. Son chef, Horst Seehofer, demande qu’un « plafond » (Obergrenze) soit fixé pour le nombre d’étrangers qui devraient être autorisés à entrer. La chancelière s’y est toujours refusée, en expliquant d’une part que le nombre de demandeurs d’asile ne peut être en droit l’objet d’une limite chiffrée , et d’autre part que l’économie allemande est assez puissante pour les absorber. « Wir schaffen es » (Nous y arriverons), répète-t-elle depuis le mois de septembre.
Réduire le nombre des réfugiés
Portés à l’origine par un enthousiasme altruiste et par une idée de leurs intérêts bien compris – l’économie allemande a besoin de la main d’œuvre émigrée —, les Allemands l’ont crue. Sans doute les difficultés matérielles liées à l’accueil, au logement, à la répartition entre les Länder de plus d’un million de personnes, ont été plus importantes qu’anticipé. Bien que les finances publiques allemandes soient en mesure de supporter un fardeau inattendu avec leur excédent de 12 milliards d’euros, on ne peut pas du jour au lendemain construire des milliers de logements, trouver des emplois ou des places dans les écoles. Les autorités locales tiraient depuis plusieurs mois déjà la sonnette d’alarme sur les difficultés d’intégration des réfugiés.
Sans vouloir fixer de « plafond », Angela Merkel s’était engagée à réduire le nombre d’étrangers accueillis en Allemagne en utilisant trois moyens : un accord entre l’Union européenne et la Turquie afin que celle-ci empêche les Syriens réfugiés chez elle de faire route vers l’Europe, moyennant 3 milliards d’euros d’aide ; un contrôle renforcé des frontières extérieures de l’UE et une répartition des migrants par quotas dans les autres pays européens. Et elle demandait du temps pour que cette politique puisse porter ses fruits.
Un discours conservateur pour une politique progressiste
Lors du récent congrès de la CDU, en décembre à Karlsruhe, la chancelière a réussi à museler les critiques par un discours en appelant à la tradition chrétienne et humaniste. Une fois n’est pas coutume, elle a abandonné le pragmatisme de la scientifique au profit de la morale. Pour expliquer la « culture de l’accueil » qu’elle a proposée à ses compatriotes, elle a invoqué Dieu et la patrie. « Elle a tenu un discours authentiquement conservateur pour justifier une politique progressiste », a écrit justement le quotidien Die Welt (droite modérée). Trop est-allemande, trop protestante, trop progressiste, disaient d’elle ses détracteurs dans un parti démocrate-chrétien traditionnellement dominé par les catholiques de l’ouest. Et justement, Angela Merkel les a pris de revers en justifiant par les valeurs chrétiennes l’ouverture aux musulmans pourchassés dans leurs pays.
Or ce sont précisément ces valeurs humanistes des démocraties occidentales qui ont été défiées le soir de la Saint-Sylvestre. Alors que les Allemands étaient de plus en plus préoccupés par les conditions matérielles de l’intégration des réfugiés, les incidents de Cologne ont souligné les difficultés de l’intégration culturelle. Certaines organisations féministes ont beau rappeler que les Allemands eux-mêmes ont rompu depuis peu de temps avec les habitudes machistes, si tant est qu’ils l’aient fait, la question des réfugiés est posée qu’on le veuille ou non. Sans aller jusqu’aux excès de l’icône des féministes des années 1970 en Allemagne, Alice Schwarzer, qui condamne l’islamisme dans des termes proches de ceux de Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), force est de constater que la forte présence d’étrangers parmi les assaillants de la Saint-Sylvestre est un problème politique qu’on ne peut évacuer en disant simplement : les femmes sont toujours et partout exposées à du harcèlement.
Par crainte des amalgames – tous les réfugiés sont des délinquants en puissance —, la police et les médias ont d’abord minimisé les incidents puis évité de mentionner la présence de personnes « issues de l’immigration ». Les responsables politiques ont attendu plusieurs jours avant de réagir, accréditant sans doute involontairement l’idée qu’il y a avait quelque chose à cacher. Dans un deuxième temps, la riposte a été classique : le gouvernement va ajouter au durcissement de la législation sur le droit d’asile déjà en discussion devant le Bundestag des dispositions aggravant la répression contre les étrangers en délicatesse avec la justice. Exemple : jusqu’à maintenant ne pouvaient faire l’objet d’une expulsion du territoire que les étrangers condamnés à plus de trois ans de prison ferme. Désormais, il suffira d’une condamnation à un an de prison, y compris avec sursis.
Au nom des valeurs démocratiques
Au nom même des valeurs qui ont fondé sa politique d’accueil, Angela Merkel veut un châtiment exemplaire pour les responsables des délits commis à Cologne : « Le sentiment de se sentir livré sans aucun secours – en l’occurrence pour une femme – est inacceptable aussi pour moi d’un point de vue personnel, a-elle déclaré. Il s’agit de donner un avertissement clair à ceux qui ne veulent pas respecter notre droit ». L’Etat de droit, le « visage amical » que l’Allemagne voulait présenter à l’extérieur, ne s’opposent pas à la fermeté contre ceux qui violent les règles de la démocratie occidentale, ils l’exigent.
Mais les appels à la fermeté, partagés par l’allié social-démocrate de la démocratie chrétienne au sein de la grande coalition, ne suffisent pas à satisfaire les critiques d’Angela Merkel. Les démocrates chrétiens craignent d’être débordés sur leur droite par le nouveau parti AfD (Alternative pour l’Allemagne). En 2013, l’AfD a échoué sur la barre des 5% qui permet d’avoir des députés au Bundestag. Les sondages la créditent de 8% des voix si les élections avaient lieu aujourd’hui. En 2017, elle peut représenter un danger pour la CDU, si la CSU bavaroise ne joue plus le rôle de gardien du flanc droit.
C’est pourquoi Horst Seehofer, chef de la CSU et ministre-président de Bavière, ne cesse de s’en prendre à la politique d’Angela Merkel. Il songe même à la mettre en cause devant le Tribunal constitutionnel. A la CDU aussi, la révolte gronde. Une pétition est en train de courir pour forcer un vote dans le groupe parlementaire sur la fixation d’un « plafond » au nombre de réfugiés. La chancelière continue de s’y opposer mais elle risque d’être forcée de s’y soumettre. Il lui faut réagir vite et fort si elle ne veut pas risquer d’être entrainée dans un tourbillon qu’elle ne contrôle pas. Ce serait la première fois depuis qu’elle a accédé à la chancellerie en 2005.