Depuis la réunification, l’Allemagne était géographiquement coupée en deux. Les habitudes de vote étaient différentes à l’est et à l’ouest même si les écarts avaient tendance à se réduire avec le temps. Après les élections régionales dans trois Länder, il apparait que la crise des réfugiés l’a coupée en deux politiquement. D’une part, les électeurs qui rejettent la politique suivie par Angela Merkel, à la fois l’ouverture et la tentative d’une coordination européenne avec la Turquie, et d’autre part ceux qui l’approuvent.
L’extrême-droite contre les réfugiés
Les premiers ont voté massivement pour l’AfD (Alternative für Deutschland) qui a fait campagne contre l’accueil des réfugiés, avec souvent les arguments xénophobes entendus dans les manifestations de Pegida, ces « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident », qui défilent tous les lundis depuis plus d’un an maintenant dans certaines grandes villes, à Dresde notamment. En Saxe-Anhalt, l’AfD recueille deux fois plus de voix que le SPD et dépasse la gauche radicale, qui était le parti protestataire traditionnel à l’est. Dans le Bade-Wurtemberg, un Land industriel où le chômage est un des plus bas d’Allemagne, elle devance les sociaux-démocrates. En Rhénanie-Palatinat, elle devance le SPD avec un score supérieur à 12%, le niveau atteint une semaine plus tôt dans un autre Land de l’ouest, la Hesse, aux élections municipales.
Selon les enquêtes d’opinion, l’AfD dépasserait 10% des suffrages si les élections nationales avaient lieu maintenant et entrerait au Bundestag. Dans ces conditions, l’extrême-droite s’installerait durablement dans le paysage politique pour la première fois depuis la création de la République fédérale en 1949.
Angela Merkel soutenue par la gauche
A contrario, les partisans de la politique migratoire d’Angela Merkel ont voté dans le Bade-Wurtemberg pour les Verts, et notamment pour le premier et le seul de leur membre à occuper le poste de ministre-président depuis 2011. Winfried Kretschmann a mené campagne, parfois en compagnie de l’ancienne star des écologistes Joschka Fischer, en faisant l’éloge de la politique migratoire de la chancelière. La tête de liste du parti de la chancelière dans ce Land qui critiquait cette politique a été sévèrement battue.
La démonstration est encore plus évidente en Rhénanie-Palatinat. La candidate de la CDU au poste de ministre-président, Julia Klöckner, était donnée gagnante, il y a encore quelques semaines, contre la chef du gouvernement régional sortante, la social-démocrate Malu Dreyer. Bien que populaire, celle-ci pâtissait de l’usure du pouvoir de son parti. Pour augmenter ses chances, Julia Klöckner, que la presse présentait déjà comme une candidate sérieuse à la succession d’Angela Merkel, a pris ses distances avec la politique d’accueil des réfugiés. Reprenant les critiques de la CSU, le parti frère bavarois de la CDU, elle proposait un « plan B » pour corriger l’échec probable de la stratégie de la chancelière. Elle n’en a pas été récompensée par les électeurs qui ont préféré voter pour la continuité et pour une politique migratoire soutenue par le SPD.
Si la chancelière peut s’inquiéter des difficultés de son parti, elle peut donc trouver dans les résultats de dimanche quelques sujets de satisfaction qui confirment la hausse générale de sa popularité, après le creux du début d’année. Une de ses rivales au sein de la démocratie chrétienne a perdu une élection régionale, ce qui n’est pas de bon augure pour une carrière nationale. De plus elle a fait la démonstration que la critique de la politique gouvernementale ne rapportait pas les voix qu’elle convoitait. Angela Merkel peut se réjouir aussi du fait que l’immigration ne devrait pas être un obstacle à une coalition avec les Verts si nécessaire après les élections générales de 2017.
L’érosion des grands partis de masse
Il n’en reste pas moins que les scrutins régionaux de dimanche témoignent d’une dispersion inédite du paysage politique allemand. Jusque dans les années 1980, deux grands partis, la démocratie-chrétienne et la social-démocratie, dominaient les débats et pouvaient former le gouvernement en s’alliant avec les libéraux du FDP, le troisième parti représenté au Bundestag. Les Verts sont ensuite venus compliquer l’équation. Après la réunification, Die Linke est entrée au Parlement où siégeaient cinq groupes parlementaires, revenus à quatre après la défaite du FDP en 2013. Avec les libéraux qui regagnent des voix et le succès de l’AfD, ce sont six groupes parlementaires qui pourraient sortir des prochaines élections. La formation de coalition serait d’autant plus difficile que les grands partis de masse (Volkspartei) censés représenter toutes les couches de la société, voient diminuer le nombre de leurs adhérents et de leurs électeurs. Et que deux partis au moins, Die Linke à gauche, et l’AfD à droite, sont considérés inaptes ou indignes de participer au pouvoir.
Normalisation
Autre première : une formation politique semble en mesure de s’installer à la droite de la démocratie-chrétienne, alors que la CDU avait toujours pris soin de couvrir tout le spectre depuis le centre jusqu’à la droite de la droite, avec l’aide de la CSU bavaroise. Or si l’AfD prend des voix à tous les autres partis et recrute essentiellement chez les abstentionnistes, elle représente une menace particulière pour la CDU.
Au cours de ces dernières années, tandis que les partis populistes progressaient dans la plupart des pays d’Europe à la faveur de la crise économique, l’Allemagne avait été épargnée à la fois par sa bonne santé économique et par la prégnance de son histoire. Les petits partis extrémistes étaient restés à l’état de groupuscules. Il semble qu’aujourd’hui l’Allemagne se « normalise », avec une droite extrême qui certes n’atteint pas les scores du Front national en France mais qui joue sur les mêmes craintes face à la mondialisation et la concurrence des identités.