Barack Obama méritera-t-il enfin son prix Nobel de la paix ?

Les présidents américain et cubain se sont entretenus pendant près d’une heure, le samedi 11 avril, en marge du sommet des Amériques qui se tenait à Panama. C’était la première rencontre au sommet entre les Etats-Unis et Cuba depuis la révolution castriste de 1959, un pas de plus vers la normalisation des relations entre les deux pays. Avec l’accord sur le nucléaire iranien, conclu à Lausanne le 2 avril, Barack Obama considère que sa politique de la main tendue, inaugurée dès 2009, commence à porter des fruits. Une justification rétroactive de son prix Nobel de la paix ?

La poignée de main Obama Castro
estudio revolucion

Barack Obama va-t-il enfin mériter le prix Nobel de la paix qu’il a reçu en 2009 ? A l’époque, il avait lui-même considéré cette distinction comme « prématurée ». Moins d’un an après son arrivée au pouvoir, il n’avait pas encore fait ses preuves. Le prix Nobel était un espoir plus qu’une consécration. Entretemps ses résultats laissaient plutôt à désirer. Elu sur la promesse de terminer deux guerres dans lesquelles son prédécesseur George W. Bush avait impliqué les Etats-Unis, en Afghanistan et en Irak, Barack Obama a mis huit ans pour retirer – en partie – ses troupes de Kaboul et le voici de nouveau impliqué dans un conflit multiforme au Proche-Orient, de la Mésopotamie au Yémen, contre l’Etat islamique et ses métastases, après avoir quitté l’Irak en 2011.
Désireux de repartir sur de nouvelles bases dans ses relations avec la Russie, il doit en plus gérer une guerre qui ne dit pas son nom en Ukraine, au milieu de l’Europe que les soldats américains avaient peu à peu quittée après la fin de la guerre froide. Dans le Pacifique, qui devait être sa priorité, la situation n’est guère plus brillante. L’accord de libre-échange sponsorisé par les Etats-Unis marque le pas tandis que la Chine attire jusqu’à des pays européens dans sa nouvelle Banque asiatique de développement.

Deux vieux ennemis

Son bilan sera cependant totalement reconsidéré s’il parvient, avant la fin de son second mandat, à faire la paix avec deux ennemis des Etats-Unis, vieux respectivement de plus d’un demi-siècle et de trente-six ans, avec Cuba et avec l’Iran.
Le plus ancien conflit est peut-être le plus facile. Depuis la révolution castriste de 1959 et surtout depuis la calamiteuse opération de la Baie des cochons, les relations étaient au point mort entre Washington et La Havane. Un embargo frappe la petite île des Caraïbes qui, en octobre 1962, a été l’enjeu d’une rivalité entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, plaçant le monde à l’aube d’une guerre nucléaire. L’embargo était une punition, puis un moyen de forcer un changement de régime à Cuba, enfin un tabou qu’aucun président américain avant Barack Obama n’avait osé entamer.
Comme mesure punitive, l’embargo a fonctionné. L’économie cubaine est dans un état d’autant plus précaire que La Havane a perdu tour à tour les soutiens dont elle dépendait. L’URSS a disparu en 1991 et la Russie ne l’a pas remplacée en tant que puissance protectrice des régimes « anti-impérialistes ». Quant au Venezuela, il est encore moins en mesure de soutenir l’économie cubaine sous Maduro que sous Chavez. En revanche l’embargo n’a pas fonctionné comme instrument de promotion de la démocratisation. Si Raul Castro, succédant à son frère Fidel, a quelque peu desserré l’étau qui bride l’initiative individuelle, il a maintenu le système policier qui empêche toute opposition politique.

Un homme « honnête »

Pour les Etats-Unis, il était en effet temps de changer une politique vieille d’un demi-siècle qui n’avait pas produit les résultats escomptés. Barack Obama ne porte aucune responsabilité dans la politique d’isolement de l’île. Raul Castro l’a reconnu lui-même lors de leur rencontre à Panama – un homme « honnête », a-t-il dit. Obama était donc bien placé pour en changer. Les relations diplomatiques vont reprendre officiellement entre les deux pays, bien que les ponts n’aient jamais été vraiment coupés. Cuba devrait être rayé de la liste des Etats terroristes. Pour être placé sur la liste des Etats « touristiques », comme l’annonce une caricature du dessinateur suisse Chappatte dans l’International New York Times. Les touristes américains vont reprendre le chemin des plages cubaines en même temps que les investisseurs.

Ouverture ou durcissement ?

Barack Obama ne proclame pas son intention de changer le régime castriste. A fortiori n’en fait-il pas un préalable à la normalisation. Mais il peut penser, sans le dire, que l’ouverture réciproque entre les Etats-Unis et Cuba produira une évolution positive de la situation sur place. A moyen terme c’est possible. A court terme, il faut plutôt s’attendre à un maintien du statu quo, voire à un durcissement de la répression, car Raul Castro et ses pairs font le même raisonnement que le président américain, pour en tirer des conclusions inverses. Pour contrer les risques inhérents à la détente, ils vont resserrer les contrôles sur la population. Toutefois il est probable que le mouvement sera irréversible.
Avec l’Iran, la situation apparaît plus compliquée encore. Barack Obama a mis en œuvre la même politique de la main tendue et il lui a fallu attendre plus de cinq ans pour qu’elle porte ses fruits. La pression internationale, les négociations accompagnées de sanctions économiques qui durent depuis plus de dix ans, ont amené le régime des mollahs à accepter de limiter son programme nucléaire. D’abord par l’accord intérimaire de novembre 2013 puis par l’accord-cadre qui a été conclu à Lausanne le 2 avril.

Avec l’Iran, un double enjeu

L’élection du « modéré » Hassan Rohani en 2013 et l’aspiration de la classe moyenne iranienne à une ouverture vers le monde occidental, d’une part, la volonté de Barack Obama d’obtenir un succès diplomatique d’autre part, ont permis ce résultat. Pour le président américain, l’éventuelle normalisation des relations avec l’Iran, rompues depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979, est plus importante qu’une réconciliation avec Cuba. Le double enjeu n’est autre que la lutte contre la prolifération nucléaire et la réorganisation géostratégique du Proche-Orient.

Or si l’accord de Lausanne est un pas dans la bonne direction, tout ou presque reste à faire. Officiellement ce sont les arrangements « techniques » des principes acquis dans l’accord-cadre qui doivent être précisés d’ici le 30 juin. Mais outre le fait que le diable gît dans les détails, le contenu même de ces principes fait l’objet d’interprétations divergentes selon les protagonistes. Les informations qui ont filtré à Washington, à Téhéran et à Paris sont loin de concorder. Que ce soit pour les inspections des sites nucléaires, l’ampleur de la recherche autorisée ou le rythme de la levée des sanctions, les parties prenantes ne l’entendent pas de la même façon. L’ayatollah Ali Khamenei, le " guide suprême" de la révolution, approuve-t-il l’accord ? se demandaient les négociateurs occidentaux. Il a répondu à sa façon, en ne disant ni oui ni non, mais en affirmant qu’il n’y aurait pas de signature définitive sans une levée globale et immédiate des sanctions.
Les meilleurs accords se font entre les arrière-pensées, disent parfois les diplomates. La négociation nucléaire ne fait pas exception. Les ambiguïtés de l’accord avec l’Iran permettent d’apaiser les craintes du Congrès américain qui aura son nom mot à dire pour la levée des sanctions. Avec leur majorité dans les deux chambres, les républicains peuvent priver Barack Obama de son succès diplomatique.

Révolution ou stabilité

Et ils ne sont pas les seuls. Les Iraniens aussi. Même s’ils acceptent un accord définitif sur leur programme nucléaire, ils ont une autre carte à jouer dans la région proche-orientale. Ils sont engagés, directement ou indirectement, dans plusieurs conflits, en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen, en Palestine. Parfois leurs intérêts concordent avec celui des Américains, parfois ils s’opposent ouvertement. Au-delà du nucléaire, le pari de Barack Obama est que la réinsertion de l’Iran et la reconnaissance de son statut de puissance régionale l’amèneront à jouer un rôle responsable et constructif, y compris vis-à-vis d’Israël. D’Etat révolutionnaire et révisionniste, il deviendrait un facteur de stabilité, au lieu de susciter ou de chercher à utiliser à son profit les rivalités nationales, religieuses et ethniques.
Le pari est loin d’être gagné. Vu l’échec des politiques américaines successives au Proche-Orient, il vaut cependant la peine d’être tenté. Pour Barack Obama, le temps est compté. Qu’il le gagne ou qu’il le perde, il risque de ne pas voir l’issue de son pari avant la fin de sa présidence. S’il gagne, il aura travaillé pour l’histoire et donné raison a posteriori aux parlementaires norvégiens qui l’ont couronné en 2009.