L’ancien Premier ministre portugais a pour lui deux atouts : son immobilisme passé à la tête de la Commission et l’incapacité des socialistes européens à s’entendre sur le nom d’un candidat à lui opposer.
Personnage cultivé et multilingue, bon diplomate et fin politique, d’un commerce toujours agréable, José Manuel Durão Barroso (53 ans ), n’a pas de convictions bien arrêtées si ce n’est un inébranlable credo libéral. Venu de l’extrême-gauche, président des étudiants maoïstes au temps de la révolution des œillets, rallié au socialisme de Mario Soares avant de basculer vers le Parti social-démocrate de centre-droit, il s’est conduit, durant son premier mandat à Bruxelles, en gestionnaire prudent du grand marché européen et a su jouer habilement les intermédiaires entre les dirigeants nationaux. Mais il s’est toujours montré plus préoccupé de débusquer les entraves à la libre concurrence que de donner à l’Union européenne une véritable impulsion politique et économique.
Depuis le début de la crise, la Commission est aux abonnés absents. Témoignant d’un surprenant immobilisme pour ne pas dire d’un laxisme coupable, le président de la Commission européenne s’est montré incapable de coordonner et d’harmoniser des efforts économiques des pays membres non plus que d’encourager des mesures communautaires. On n’a pas souvenir que la Commission ait élaboré la moindre proposition durant l’année écoulée.
Toutefois, c’est précisément cet attentisme qui devrait favoriser la reconduction de Jose Manuel Barroso au poste de président de la Commission européenne en juillet prochain. Un affaiblissement de l’Europe communautaire n’est pas pour déplaire à bon nombre de capitales européennes. C’est bien sûr la position de la Grande-Bretagne, traditionnellement hostile à toute intégration des politiques économiques et sociales. Londres fait sur cette position cause commune avec les nouveaux entrants dans l’Union. De son côté, Nicolas Sarkozy, mettant à profit une présidence française incontestablement énergique et dynamique, n’a eu de cesse, durant six mois, que de privilégier la voie intergouvernementale au détriment de la voie communautaire, la coopération plutôt que l’intégration, les dérogations de circonstances et les vetos nationaux plutôt que la recherche de convergences et l’élaboration de compromis. La faiblesse de la Commission a servi sa philosophie d’une Europe intergouvernementale, sa méfiance à l’encontre du moteur franco-allemand et, accessoirement, son égotisme peu commun.
Jacques Delors, qui voit dans la gestion de Jose Manuel Baroso une trahison de l’héritage communautaire et dans la politique de Nicolas Sarkozy un recul du projet européen, estime que les deux hommes sont faits pour s’entendre. L’ancien président de la Commission ne doute pas un instant qu’en dépit de quelques réticences passagères, le président français a déjà fait son choix : commode hier pour l’Elysée, cette présidence faible de la Commission le sera demain encore pour Paris. Londres, Berlin et Madrid s’étant déjà prononcées en faveur d’une reconduction de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne, on ne voit guère désormais ce qui pourrait y faire obstacle.
Les socialistes européens, en effet, se sont montrés incapables de s’entendre sur un candidat susceptible d’être opposé à Jose Manuel Barroso si, d’aventure – ce qui est peu probable, ils sortaient vainqueurs des élections européennes du 7 juin. Stigmatisant cette incapacité, Jacques Delors a scandalisé ses camarades socialistes français en estimant, de manière volontairement provocatrice, que François Fillon, quittant Matignon ou, mieux encore, Alain Juppé, connu pour sa compétence et ses engagements profondément européens, feraient de bons présidents de la Commission. Ce qui n’est pas douteux mais ce qui est évidement totalement improbable dans la mesure où les Français occupent déjà de nombreux postes internationaux (BCE, OMC, FMI…)
Il n’est donc plus guère que Jacques Delors pour mener croisade, au nom de l’idéal européen, contre la candidature de celui que l’ancien président de la Commission appelle cruellement le « cireur des chaussures de Broadway », - référence à la chanson de Montand et de Prévert pour stigmatiser l’américanisme militant de Jose Manuel Baroso ou encore le « cireur des chaussures de Lisbonne » pour dénoncer la façon dont l’actuel président de la Commission européenne se couche devant les Exécutifs nationaux et les flatte en sorte d’être reconduit.