Des querelles sino-américaines de ces semaines – les ventes d’armes à Taïwan, la réception du dalaï-lama à la Maison blanche et les pressions pour la réévaluation du yuan —, la dernière a éclipsé les autres. Les autorités chinoises ont déclenché un tir de barrage contre l’intention prêtée à Washington de publier, le 15 avril, un document officiel dans lequel la Chine serait accusée de « manipuler » sa monnaie. Mis sous pression par le Congrès, les dirigeants américains attribuent à la « faiblesse » du yuan – une devise qui n’est pas convertible et dont le niveau est fixé administrativement —, le boom des exportations chinoises, le déficit commercial et finalement l’augmentation du chômage américain.
Les Européens partageaient ce souci, il y a quelques mois encore, mais la baisse de l’euro par rapport au dollar s’est traduite par une réévaluation de facto de 6% du yuan par rapport à l’euro.
Plus que des mesures protectionnistes américaines visant certains produits chinois, Pékin craint d’être traité de tricheur. Si le mot de « manipulateur » apparait dans un texte gouvernemental américain, ce sera la guerre – commerciale. Chen Deming, ministre du commerce s’élève contre les accusations venues de Washington. Il y répond point par point : en 2009, l’excédent commercial de la Chine a diminué de 34% et il baisse au rythme de 50% par mois depuis le début de cette année. Le mois prochain, la balance commerciale chinoise devrait être déficitaire.
Pékin aligne les chiffres : en 2008, la Chine était le troisième pays importateur de produits américains (en 2001, elle n’était que le 9è) ; de 2001 à 2009, les exportations américaines de services vers la Chine ont augmenté de 262,8% ; et la Chine a importé en 2009 pour 14 milliards de produits agricoles des Etats-Unis, cinq fois plus qu’en 2001.
D’une manière plus générale, les dirigeants pékinois insistent sur le fait que leur pays a contribué pour moitié à la croissance économique globale de 2009, grâce au programme de soutien de l’activité mis en place à la suite de la crise mondiale. Il serait injuste d’imputer une charge supplémentaire à leur économie dont la prospérité était largement fondée sur les exportations, à un moment où justement ils ont relancé la consommation intérieure. Quand les Américains plaident pour « une économie globale plus forte et plus équilibrée », les Chinois les renvoient à leur propre responsabilité dans le déclenchement de la crise.
Pékin a reçu l’appui, volontaire ou non, de quelques grands groupes américains opérant en Chine. Ceux-ci considèrent qu’une réévaluation de 10 ou 15% du yuan n’aurait qu’un effet marginal sur le déficit courant de la balance des paiements américaine. D’un point de vue économique, ce n’est pas faux mais ces déclarations ne peuvent pas être séparées de l’inquiétude que ces compagnies éprouvent devant les tracasseries dont elles commencent, ici, à être l’objet.
Le sujet n’est pas technique. Il est hautement diplomatique et c’est à ce niveau qu’il sera ou non réglé. Bien qu’ils s’estiment dans leur bon droit, les Chinois ne veulent pas se lancer dans une escalade protectionniste avec les Etats-Unis, dont ils seraient aussi les victimes. Au-delà d’une rhétorique de fermeté, ils pourraient se montrer compréhensifs vis-à-vis des problèmes rencontrés par leurs partenaires commerciaux et freiner volontairement la croissance de leurs exportations. Certains économistes chinois proposent de réduire les incitations aux exportations décidées pendant la crise ; d’autres d’introduire un système de quotas afin de réguler d’une année sur l’autre la croissance des exportations de quelques produits. Bref, personne ne semble avoir intérêt, ni d’un côté du Pacifique, ni de l’autre, à faire monter les enchères.