Davos : défense et illustration de l’Union européenne

Deux appels presque en même temps de deux sortes « d’Européens », ceux qui disent que l’Europe va bien et qu’il faut la soutenir, ceux qui disent que l’Europe va mal, et qu’il faut la sauver.

Le « Forum économique mondial » de Davos tourne une fois de plus autour de l’Union européenne. L’an dernier, le « forum » affrontait l’ouragan qui menaçait de démembrer la zone euro. Cette année, c’est un peu différent.

Le Premier ministre britannique, David Cameron, éloquent, distingué et dandy, a prononcé un discours moins « anti-européen » qu’on ne le craignait. Il n’a pas menacé de sortir son pays de l’Europe. Il a seulement dit que l’Angleterre allait demander de nouveaux privilèges, qui s’ajouteraient aux privilèges déjà exorbitants obtenus jadis par les hurlements aigus de Margaret Thatcher.

Les diatribes de Cameron n’ont pas ému le forum. L’Angleterre fait désormais figure de ces écoliers geignards qui passent leur temps à se plaindre et que les autres élèves n’écoutent même plus. En revanche, ce fut l’occasion, pour les « pro européens » de lancer quelques salves et d’expliquer que, hors de l’Europe, chaque pays de l’Europe ne serait guère plus dynamique qu’un « chien au fil de l’eau ».

L’étrange – et l’inquiétant – est que la Défense de l’Europe nourrit deux discours rigoureusement opposés. Il y a d’abord la réaction des économistes et des politiques. Ceux-là entonnent d’une même voix un hymne à l’Europe, et à sa réussite. Le thème général est celui-ci : « Il est vrai que l’Europe a failli périr. Il y a un an, lors du Davos 2012, on s’apprêtait à en ramasser les morceaux dans la campagne. Aujourd’hui, la crise est finie. L’Europe sort de l’abîme. Elle va gagner. Elle a déjà gagné ».

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, est émerveillée : « Ce que les Européens ont fait depuis dix-huit mois est remarquable ». Angela Merkel, d’ordinaire pessimiste, renchérit : « Nous ne sommes pas encore sortis du bois mais nous avons fait beaucoup, et sur la bonne voie ». L’Italien Mario Monti, le Néerlandais Mark Rutte, l’Irlandais Enda Kenny, le Suédois Fredrik Reinfeldt, tous disent la même chose : l’UE est sauvée, l’UE est admirable, et la Grande Bretagne serait bien bête de la quitter.

Ayant lu ces textes, on est bien content. L’Europe est sauvée. L’Europe est au ciel et elle brille. Malheureusement, le même jour, aujourd’hui, est publié un appel d’une autre « bande » d’Européens, d’autres partisans exaltés de l’Union Européenne, et qui utilisent des arguments exactement contraires. Les signataires ne sont pas des politiques ou des économistes. Ce sont des écrivains, de très grands écrivains : Vassilis Alexakis, Claudio Magris, Salman Rushdie, Umberto Eco (ainsi que l’inévitable Bernard-Henry Levy).

« L’Europe n’est pas en crise, disent-ils. L’Europe est en train de mourir…. Elle se délite partout, d’ouest en est, du sud au nord, avec la montée des populismes, des idéologies d’exclusion et de haine…Elle se délite du fait de cette interminable « crise de l’euro », dont chacun sent bien qu’elle n’est nullement réglée : n’est-elle pas une chimère, cette monnaie unique abstraite, flottante, car non adossée à des économies, des ressources, des fiscalités convergentes ? … »

A ce point, nous sommes un peu inquiets. Tous ces gens-là nous disent qu’il faut aimer passionnément l’Europe, mais les uns nous donnent cet ordre parce que l’Europe va bien et les autres parce que l’Europe va mal, les uns parce que l’Europe, après quelques soubresauts, reprend son vol majestueux, les autres parce que l’Europe non seulement est malade mais parce qu’elle est en train de mourir.

Enfin, si nous voulons nous consoler, il reste au moins un point commun entre ces deux bandes de pro-européens ennemis, un point d’accord qui brille comme une lueur d’espoir : que l’Europe soit en train de mourir ou bien qu’elle soit en train de grimper au ciel, la conclusion est identique : il faut aimer l’Europe et gronder ces sales Britanniques qui ne comprennent jamais rien. Bien ! Mais est-ce que ces deux discours également pro- européens et rigoureusement contraires seront capables d’éclairer le cerveau embué mais logique des Britanniques ?