Ni les menaces américaines, ni les efforts pathétiques de la France au Conseil de sécurité, ni les condamnations du secrétaire général de l’ONU sorti de sa réserve pour dénoncer des « crimes de guerre » n’impressionnent la Russie. Vladimir Poutine est décidé à réduire l’opposition à Bachar el-Assad qui contrôle la partie est d’Alep. Et pour arriver à ses fins, tous les moyens sont bons, y compris les plus barbares.
Tous les témoignages provenant de la deuxième ville de Syrie, qui a perdu les deux tiers de ses habitants, concordent. Les 250 000 à 300 000 personnes qui restent à Alep-Est vivent un enfer. Depuis la fin de la trêve négociée le 9 septembre entre le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov, les bombardements par les aviations russes et syriennes sont allés crescendo. Bombes au phosphore, bombes à fragmentation, bombes perforantes pour atteindre les caves où sont réfugiés les civils et unités de soins, attaques contre les hôpitaux, les humanitaires… Des centaines de morts se sont ajoutées ces derniers jours au demi-million de victimes de la guerre civile depuis 2011.
La Russie applique en Syrie la méthode employée par Vladimir Poutine pendant la deuxième guerre de Tchétchénie en 2000. Après un accord conclu en 1996, le conflit entre le pouvoir central russe et les indépendantistes tchétchènes avait repris en 1999. Arrivé au pouvoir à la faveur de cette deuxième guerre, l’actuel chef du Kremlin avait promis de pourchasser les « terroristes » « jusque dans les chiottes ». Il y est parvenu en appliquant la stratégie de la terre brûlée. Pendant des semaines, Grozny, la capitale de la Tchétchénie, a été soumise à des bombardements intensifs visant indifféremment les combattants et les civils. Ces derniers ont été invités à quitter la ville par des « couloirs humanitaires » où ils n’étaient pas à l’abri des snipers qui les visaient. Les habitants de Grozny qui n’ont pas voulu abandonner leurs maisons ont été assimilés aux « terroristes » et condamnés à la mort. La ville a été rasée. Au total les deux guerres de Tchétchénie ont fait entre 150 000 et 300 000 victimes, soit 10 à 20% de la population tchétchène recensée en 1994.
Cette sinistre expérience se répète en Syrie. La Russie a annoncé qu’elle allait continuer ses opérations militaires sous couvert de lutte contre le terrorisme. L’Etat islamique est pourtant loin d’Alep. Mais Daech n’est pas l’objectif principal. Pour Moscou, il s’agit d’éliminer tous les adversaires à Bachar el-Assad, qu’ils se revendiquent de l’opposition laïque ou des groupes djihadistes. Ces derniers, il est vrai, se sont d’autant plus renforcés que l’Armée syrienne libre, issue des premières manifestations de 2011, était abandonnée par les Occidentaux.
Pour Assad, la chute d’Alep serait le symbole de sa capacité à reprendre le contrôle de l’ensemble de la Syrie. Pour Vladimir Poutine, elle serait un atout de poids dans le bras de fer engagé avec Washington à quelques semaines des élections présidentielles américaines. Le président russe compte sur la retenue de Barack Obama qui a décidé de ne pas s’engager en Syrie, un terrain secondaire par rapport à l’Irak, pour créer un fait accompli. Une présidente Clinton pourrait être un interlocuteur plus difficile, mais d’ici son éventuelle arrivée à la Maison blanche en janvier 2017, le martyre d’Alep aura été consommé, sous les condamnations morales et l’impuissance malheureuse des Occidentaux.