En 1991, la France avait participé à la première guerre du Golfe aux côtés des Américains pour évincer Saddam Hussein du Koweït. Il y allait de son « rang », avait dit François Mitterrand. En 2003, sous l’impulsion de Jacques Chirac et après un discours enflammé du ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, elle avait refusé de se joindre à la croisade américaine contre le dictateur de Bagdad. Et elle avait eu raison.
Aujourd’hui l’avancée des groupes djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) place François Hollande dans une situation délicate. Le président de la République a décidé de manifester une grande prudence. Il ne veut pas participer à d’éventuelles opérations aériennes – et d’ailleurs personne, c’est-à-dire, pas Washington – ne le lui a demandé. Il n’a pas oublié qu’à l’été 2013, Barack Obama, après avoir tracé une « ligne rouge », avait renoncé à frapper le régime de Bachar el-Assad qui venait d’utiliser des armes chimiques. La France à l’époque était prête à intervenir mais elle a renoncé après avoir été abandonnée à ses propres forces par ses partenaires anglo-saxons.
On éprouve à Paris une certaine satisfaction maligne à voir les Américains s’empêtrer dans une situation dont on estime qu’ils l’ont créée au moins à trois reprises : en intervenant en 2003 sous prétexte d’éradiquer des armes de destruction massive qui n’existaient pas ; en retirant toutes leurs troupes en 2011 sans avoir été en mesure de contribuer à la construction d’un Etat multiconfessionnel viable ; en laissant l’abcès syrien dégénérer sans prendre à temps les mesures qui auraient – peut-être – permis d’éviter une contagion qui touche maintenant toute la région.
Toutefois la diplomatie française ne saurait s’en tenir à ce sombre constat. Il ne sert à rien de regretter les erreurs passées alors que les succès de l’EIIL représentent un danger pour l’Irak, pour ses voisins, et indirectement pour les Etats européens. En France comme dans d’autres pays, les dirigeants s’inquiètent des troubles que pourraient fomenter des jeunes – ils seraient plusieurs centaines – partis faire le djihad en Syrie et en Irak, à leur retour en Europe.
Que faire dans ces conditions ? Paris a mené une intense activité diplomatique au cours des derniers jours. François Hollande s’est entretenu avec des responsables de l’Arabie saoudite, du Liban, de la Turquie et du Qatar. Les monarchies sunnites du Golfe sont choyées par la diplomatique française depuis plusieurs années, parce qu’elles sont des clientes appréciées pour l’industrie française de l’armement et parce qu’elles représentent un contrepoids au régime chiite iranien. Elles ne sont pas exemptes de responsabilité dans la montée du radicalisme sunnite de l’EIIL qu’elles ont encouragé et armé, au moins dans un premier temps, contre Bachar el-Assad allié des mollahs de Téhéran. Il est à craindre qu’elles aient contribué à créer un monstre qui aujourd’hui leur échappe.
La création d’une véritable enclave djihadiste qui déborderait sur l’Irak, la Syrie, le Liban voire la Jordanie, ne pourrait pas laisser la France indifférente. A court terme, les chancelleries occidentales comptent sur la formation d’un gouvernement d’union nationale à Bagdad comprenant sunnites, chiites et kurdes, pour s’opposer à l’EIIL. Des frappes aériennes n’auraient de sens qu’à l’appui d’une solution politique englobant toutes les communautés. Dans cette hypothèse, la France ne pourrait sans doute pas rester spectatrice.