Au Brésil, les chances d’une candidature de Lula à l’élection présidentielle des 7 et 28 octobre 2018 s’amenuisent après l’aggravation, en appel, de la lourde peine de prison (9 ans et 6 mois devenus 12 ans et 1 mois) qui lui a été infligée par la justice pour corruption passive et blanchiment d’argent. L’ancien président ne s’avoue pas vaincu : il va gagner un peu de temps en déposant un nouveau recours. Il appartiendra au tribunal supérieur électoral de trancher sur sa candidature, mais le risque d’une invalidation s’est encore accru, d’autant plus que d’autres procédures sont en cours. La justice apparaît ainsi comme l’arbitre du combat politique entre des partis largement discrédités et incapables de surmonter leurs divisions.
Bousculé par les scandales, le pouvoir politique a perdu sa capacité d’action et de réforme. Dans le rapport annuel de l’OPALC (Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, présidé par Olivier Dabène, professeur à Sciences Po) qui vient d’être publié (Les Etudes du CERI, n° 233-234, janvier 2018), le politologue Frédéric Louault parle d’un « enlisement politique ». Le système, défini par l’auteur comme « un présidentialisme de coalition basé sur l’individualisme des comportements politiques, la fragmentation partisane et l’instabilité des alliances », semble à bout de souffle. Il favorise une « force d’inertie » qui freine, voire bloque, les projets de transformation des règles et des pratiques politiques. Il conforte les élites dans leur résistance au changement.
Deux grandes failles
Frédéric Louault souligne les deux grandes failles de la machine politique. La première est le jeu complexe entre le Congrès et le président. Celui-ci est en effet l’otage d’une base alliée hétérogène. Il doit multiplier les concessions – légales ou illégales - pour gouverner. La distribution de prébendes, qu’elles soient financières ou politiques, est le moteur du dispositif, qui incite au trafic d’influence et à la corruption. L’autre faille est le financement privé des campagnes électorales, qui encourage les collusions entre les entreprises privées et les pouvoirs publics. Dilma Rousseff, avant d’être destituée, a tenté de l’interdire. Mais les contrôles sont insuffisants et les irrégularités demeurent, source de concussion et de malversation.
A droite comme à gauche, les acteurs politiques sont à la fois impuissants et déconsidérés. Face à cette absence, les tribunaux ont pris le relais, au risque d’être accusés de politiser la justice. Au moins leur action témoigne-t-elle, selon Frédéric Louault, d’une moindre tolérance à la corruption, qui se traduit par une multiplication des enquêtes (18 en 2003, 550 en 2016). En 2017, indique-t-il, 165 condamnations ont été prononcées, pour un total de 1634 années de prison ferme. Plusieurs personnalités de premier plan ont été condamnées à de lourdes peines, dont l’ancien président du Parti des travailleurs José Dirceu, proche collaborateur de Lula, dont il fut le chef de la Maison civile, poste équivalent au Brésil à celui de premier ministre, ou le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, qui fut à l’origine de la procédure de destitution contre Dilma Rousseff et qui appartient, comme Michel Temer, successeur de Dilma Rousseff à la présidence, au PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien). Aucun parti n’est épargné par ce vaste nettoyage. Michel Temer, visé par deux enquêtes, n’a dû son salut qu’au soutien d’une majorité de députés.
Tendances communes
Au-delà de la situation du Brésil, les chercheurs de l’OPALC soulignent quelques tendances communes à l’Amérique latine. Ils notent ainsi l’émergence, dans plusieurs pays du sous-continent, d’outsiders qui bénéficient du discrédit des partis traditionnels et renforcent l’imprévisibilité des résultats électoraux. C’est en partie le cas, au Brésil, du candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro (en partie seulement parce que le personnage est député fédéral depuis 1991), dont la montée dans les sondages est liée à l’impopularité du reste de la classe politique. D’autres personnalités peuvent surgir au cours de l’année 2017.
Autre trait partagé par un grand nombre d’Etats d’Amérique latine : un tournant à droite, qui demande encore à être documenté mais qui, d’ores et déjà, est perceptible au Brésil depuis la chute de Dilma Rousseff. De même la polarisation politique, dont témoigne d’une manière éclatante la vie publique brésilienne, se retrouve dans une grande partie du sous-continent, où la parole réactionnaire se libère. Signe plus inquiétant, le respect des règles démocratiques tend à reculer dans de nombreux pays : candidatures interdites, scrutin manipulé, soupçons de fraudes. Caractéristique est l’attitude de Jair Bolsonaro, qui affirme que s’il n’est pas au second tour, c’est parce que les élections auront été faussées par la fraude. Les institutions électorales tendent ainsi à être délégitimées par ceux qui dénoncent par avance les conditions de leur défaite à venir. Ce sera aussi l’un des enjeux du scrutin brésilien.