Le rêve de Lula et de ses partisans vient sans doute de s’effondrer sous les coups de la justice. Pour l’ancien président brésilien, favori des sondages à quelques mois de l’élection présidentielle, la perspective de revenir au pouvoir pour exercer un troisième mandat s’éloigne. Ce n’est pas au palais du Planalto, siège de la présidence à Brasilia, qu’il risque de passer ses prochaines années, mais en prison. Ainsi en a décidé la Cour suprême, par six voix contre cinq, en lui refusant le bénéfice de l’habeas corpus, c’est-à-dire du maintien en liberté tant que tous les recours n’auront pas été épuisés contre sa condamnation à douze ans et un mois de détention pour corruption. A 72 ans, l’ancien syndicaliste, devenu l’icône d’une grande partie du peuple brésilien, est victime de la vaste opération de nettoyage dite Lava Jato (lavage express) qui frappe l’ensemble de la classe politique et qui n’épargne pas le chef historique du Parti des travailleurs (PT).
Lula restera dans les mémoires comme l’homme qui a fait sortir de la pauvreté, selon les chiffres officiels, près de 20 millions de personnes tandis que 32 millions entraient dans la classe moyenne. Cette nouvelle classe moyenne rassemblait en 2012 50,5% de la population brésilienne (contre 35% en 1992). Pendant les années Lula, l’économie a prospéré, le chômage a baissé, les inégalités ont reculé. Sur le plan international, le Brésil est entré dans la cour des grands. Il s’est affirmé comme un acteur important aux côtés d’autres puissances émergentes avec lesquelles il a formé le groupe appelé BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). La situation s’est ensuite détériorée sous l’effet de la crise financière de 2008. Le gouvernement a perdu une partie de sa crédibilité. Surtout les scandales se sont multipliés à mesure que la justice mettait au jour des malversations et trafics d’influence en tous genres dont l’épicentre était la compagnie pétrolière publique Petrobras.
« La corruption au Brésil, ce n’est pas Lula ou le PT, ce sont tous les partis au pouvoir », a déclaré un magistrat de Curitiba, la ville d’où est partie l’opération « Lava Jato », cité par Le Monde. La fragmentation des partis, qui favorise des arrangements accompagnés de pots-de-vin et de dessous-de-table, est considérée comme l’une des causes de ces pratiques répréhensibles. Celles-ci ont fini par éclater au grand jour après être restées longtemps dans l’ombre. Dès le moment où la justice choisissait de s’en mêler, Lula pouvait difficilement échapper à ses foudres. Ses partisans refusent de l’admettre. Ils condamnent l’acharnement des magistrats contre l’ancien président. Ils affirment que la peine qui lui a été infligée est disproportionnée et que le juge Sergio Moro, son principal accusateur, obéit à des motivations politiques. Ils accusent l’opposition de se livrer à des règlements de comptes, comme l’a montré la destitution controversée de la présidente Dilma Rousseff, une proche de Lula, en 2016.
Les chances de Lula de redevenir président sont faibles. Non seulement parce qu’il lui sera difficile de mener campagne derrière les barreaux, mais aussi parce que sa condamnation le rend, en principe, inéligible. Toutefois la vie politique brésilienne nous a habitués à tant de rebondissements que rien ne peut être exclu. S’il est empêché de participer à l’élection d’octobre 2018, celle-ci s’annonce très incertaine. L’absence de Lula peut profiter au candidat d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, crédité par les sondages d’environ 20% des voix, alors que la gauche et la droite sont également discréditées. Dans l’immédiat, la société brésilienne se divise sur le cas de l’ancien président. Ses amis se mobilisent pour appeler à la résistance. Ses ennemis, qui ne sont pas moins déterminés, exigent son incarcération. Le chef d’état-major des armées, a accru la tension en exprimant son refus de toute forme d’impunité et en ajoutant que l’armée reste « attentive à sa mission institutionnelle ». Une menace à peine voilée qui ne contribue pas à l’apaisement.