Quoi de mieux qu’une escalade verbale avec un pays européen pour mobiliser les sentiments nationalistes à la veille d’un référendum à l’issue incertaine ? Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne se contente pas d’utiliser la tension avec l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas. Il l’attise pour dénoncer des méthodes dignes « du nazisme et du fascisme » quand ses ministres sont empêchés de faire campagne dans ces pays.
Le 16 avril, les Turcs doivent se prononcer sur l’instauration d’un régime présidentiel qui permettra de concentrer les pouvoirs dans la présidence de la République et à Erdogan de rester au pouvoir jusqu’en 2029. Le résultat n’est pas acquis. S’il peut compter sur les sympathisants de son parti, l’AKP, s’il joue habilement des craintes suscitées par la tentative de putsch manqué du 15 juillet 2016, Erdogan craint moins une opposition politique muselée que le malaise d’une classe moyenne déstabilisée par la fin du « miracle économique » turc. Le 16 avril chaque voix comptera. Le pouvoir ne saurait négliger le soutien des quelque 4,5 millions de Turcs vivant en Europe dont beaucoup ont le droit de vote en Turquie.
Ce n’est pas la première fois que des dirigeants turcs, y compris Erdogan lui-même, mènent campagne à l’étranger. Mais cette année le contexte est différent. Si les Européens, Angela Merkel en particulier, cherchent à ménager Ankara pour ne pas faire capoter l’accord sur les réfugiés signé il y a un an, ils doivent faire attention à ne pas donner des arguments aux partis populistes anti-immigration qui ont déjà le vent en poupe.
C’est particulièrement vrai aux Pays-Bas. Les Néerlandais renouvellent leur Parlement, le mercredi 15 mars, et le parti d’extrême droite de Geert Wilders a quelque chance d’arriver en tête. Aussi le gouvernement néerlandais n’a-t-il pas hésité à interdire l’entrée du territoire au ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, et à reconduire à la frontière la ministre de la famille, Fatma Betül Kaya.
De même les autorités allemandes ont, sous des prétextes divers – sécurité des bâtiments, risques de débordements, indisponibilité des forces de police, etc. —, interdit des meetings avec des ministres turcs. Le chef de la diplomatie d’Ankara a pu cependant s’adresser à ses partisans depuis le balcon du consulat général turc à Hambourg. Des contre-manifestants, appartenant pour la plupart à la communauté alévie, s’étaient aussi mobilisés, justifiant la crainte d’incidents entre pro- et anti-Erdogan
La France s’est singularisée en autorisant un rassemblement, à Metz, avec le ministre turc des affaires étrangères, arguant du fait qu’il n’existait pas de « menace avérée à l’ordre public ».
On connait de meilleures manifestions de solidarité européenne. Mais il est vrai que Paris est relativement épargné par le courroux des autorités turques qui, outre les Pays-Bas, ciblent particulièrement l’Allemagne. Le journaliste de Die Welt, Deniz Yücel, qui possède la double nationalité, a été arrêté en Turquie sous prétexte d’un interview avec un homme politique d’opposition. Avant lui plusieurs journalistes allemands avaient été expulsés. De leur côté, les autorités de Berlin veulent éviter une importation en Allemagne des conflits internes turcs, alors que la communauté turque compte 3 millions de personnes, dont 1,5 million ont le droit de vote en Turquie.
En se posant en défenseur de la démocratie et de la liberté d’expression, Recep Tayyip Erdogan cherche à galvaniser ses partisans et à détourner l’attention de ses propres turpitudes. Les Européens seraient bien inspirés de définir une attitude commune qui, sans céder sur le fond, n’apporterait pas de l’eau au moulin démagogique du nouveau « sultan » d’Ankara.