Santiago Abascal, 43 ans, chef de file du parti d’extrême-droite Vox, était encore il y a un an un parfait inconnu pour la majorité des Espagnols. Ce diplômé en sociologie, né à Bilbao en 1978, fut député au Parlement basque, de 2004 à 2009, avant de quitter en 2013 le Parti populaire (droite), qu’il jugeait trop modéré, notamment sur la gestion de l’immigration et sur la défense de l’unité de l’Espagne. Avec plusieurs anciens membres du PPE, il participe à la fondation d’un nouveau parti, baptisé Vox, pour faire entendre une autre « voix », celle d’une droite dure, dont le discours est celui de l’extrême-droite.
Il en prend la présidence en 2014. Mais ses débuts sont difficiles. Ce n’est qu’aux élections du 28 avril 2019 qu’il est élu député, son parti rassemblant 10,2 % des suffrages et 24 sièges. Six mois plus tard, au lendemain des élections du 10 novembre, le voici en position de force : avec 15 % des voix, son parti obtient 52 sièges (soit une progression de 28 sièges) et devient la troisième formation du pays, derrière le Parti socialiste et le Parti populaire.
L’Espagne était jusqu’ici l’un des rares pays européens qui échappaient à la vague du populisme d’extrême-droite. On était tenté d’attribuer cette singularité au souvenir du franquisme, qui l’avait immunisée, se disait-on, contre le retour de cette idéologie mortifère. La digue n’a pas tenu. Elle a fini par être emportée, près d’un demi-siècle après la mort de Franco en 1975, par le cours de l’histoire, comme en Allemagne où le souvenir du nazisme n’a pas suffi à empêcher, le temps passant, la montée de l’extrême-droite.
Le bordel en Catalogne
Santiago Abascal rejoint donc la cohorte des dirigeants européens qui, de Marine Le Pen à Matteo Salvini, en passant par les chefs de file d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ou ceux du Brexit, incarnent, sous des formes diverses, un nouveau national-populisme tourné vers un passé idéalisé. « Vox représente l’Espagne dans laquelle j’ai grandi : l’effort, le travail, la discipline, l’ordre, explique à l’envoyée spéciale du Monde un agriculteur andalou qui a voté pour le parti de Santiago Abascal. Il dit tout haut ce qu’on se raconte dans les bars : les immigrés qui arrivent sans contrôle et le bordel en Catalogne ».
Outre « la plaie de l’immigration illégale », les électeurs de Vox ont voulu sanctionner l’impuissance du gouvernement face à la crise catalane, dont Santiago Abascal avait fait l’un des principaux thèmes de sa campagne. Lui qui a connu dans sa région de naissance le terrorisme des séparatistes basques ne pouvait montrer aucune indulgence à l’égard des violences provoquées par les indépendantistes catalans. « La Catalogne est et sera toujours espagnole », a-t-il proclamé en annonçant qu’en cas de victoire il ferait arrêter le président du gouvernement catalan, Quim Torra, et interdire les partis indépendantistes. L’unité de la nation, mise à mal par les autonomies régionales, a été l’un des mots d’ordre sur lesquels se sont réunis ses partisans.
La recherche des alliances
La percée de Vox complique le jeu politique en accentuant la division de la droite. Arrivé en deuxième position, le Parti populaire, avec 20,8 % des suffrages et 88 sièges, fait un peu mieux en novembre qu’en avril mais il est loin de ses scores d’autrefois, qui l’avaient conduit au pouvoir. Quant aux centristes de Ciudadanos, ils subissent une véritable déroute. Avec 6,8 % des voix, ils ne conservent que 10 sièges contre 57 au scrutin précédent, soit une perte de 47 sièges. Les trois partis ne sont pas en mesure de s’unir pour former un gouvernement de coalition comme ils l’ont fait en janvier en Andalousie lorsque Vox a apporté son soutien, sans participation, à l’alliance entre le PPE et Ciudadanos.
A gauche, le Parti socialiste sort vainqueur du scrutin avec 28% des suffrages, soit une baisse de moins d’un point. S’il perd 3 sièges, il garde 120 députés. La question est de savoir si son chef de file, le premier ministre sortant Pedro Sanchez, pourra se maintenir au pouvoir et dans quelles conditions. Une fois les résultats connus, il a annoncé la conclusion d’un pré-accord de gouvernement avec le parti de la gauche radicale Podemos, en léger recul avec 35 députés (soit 7 de moins qu’en avril) et 12,8% des voix. Selon Pablo Iglesias, numéro un de Podemos, cette alliance serait « le meilleur vaccin contre l’extrême-droite ». Mais elle ne suffira pas pour atteindre la majorité absolue de 176 sièges. Les socialistes devront trouver d’autres alliés, sand doute parmi les petits partis nationalistes. Certains n’excluent pas, en cas d’échec, l’hypothèse d’une « grande coalition » entre le Parti socialiste et le Parti populaire. Quelle que soit la solution retenue, l’Espagne doit sortir au plus vite de la paralysie politique dans laquelle elle est plongée depuis de nombreux mois.