Eté meutrier à Moscou

Depuis le mois de juin, il règne dans la capitale russe une chaleur tropicale frôlant les 40 degrés, température record depuis le début de tenue des archives, il y a 130 ans. Malgré de nombreuses mises en garde du Centre hydrométéorologique, qui avait anticipé des températures anormalement élevées et été, la chaleur a pris au dépourvu les habitants de Moscou et des environs, ainsi que les autorités russes, habitués à 23 degrés en moyenne en été. La conséquence immédiate a été un accroissement de la mortalité par noyade, la plupart étant sous l’effet de l’alcool au moment du décès. La chaleur a également provoqué la mort de nombreuses personnes fragiles, bien que les données afférentes restent opaques, les docteurs moscovites ayant reçu instruction de ne pas diagnostiquer de mort du fait de la chaleur. 

Cette chaleur exceptionnelle a par ailleurs entraîné des incendies sans précédent aux environs de Moscou, brûlant les habitations, les forêts et la tourbe. Les incendies, progressant au rythme de 388 nouveaux foyers par jour, ont déjà fait des dizaines 50 morts, brûlant plus de 2 000 maisons, laissant ainsi plus de 4 000 personnes sans abri. Au total, la superficie des incendies en Russie couvre plus de 7 200 km², moins élevée cependant que l’année passée (9 300 km²), l’équivalent du territoire de Chypre. A l’inverse de cet été, où les feux se sont déclenchés dans des zones d’habitation denses, les incendies des années passées touchaient principalement les forêts de Sibérie avec un impact très limité sur la population. Le président russe Dmitri Medvedev a déclaré au début du mois d’août un état d’urgence dans sept régions, y compris celle de Moscou.

 

Les incendies ont également provoqué une fumée toxique, qui a enveloppé Moscou dès le 27 juillet, faisant monter les indicateurs de pollution à un niveau dix fois supérieur au du niveau acceptable pour la santé publique. Il a été conseillé aux personnes âgées ou cardiaques d’éviter tout contact avec la fumée. Apres avoir fait des tours dans la ville selon la direction du vent, la fumée est revenue en force le 4 août pour s’installer au moins pendant huit jours, au moment où le vent est censé tourner, si l’on en croit les prévisions des autorités russes. La teneur en monoxyde de carbone étant cette fois extrêmement alarmante, 6,6 fois supérieure à la normale à son zénith le 7 août, les autorités ont tiré la sonnette d’alarme même pour les personnes en bonne santé, préconisant d’éviter de se rendre dans les zones de fumée et , pour les personnes s’y trouvant, de porter des masques de protection à l’extérieur et de fermer hermétiquement portes et fenêtres pour empêcher la fumée de pénétrer à l’intérieur, afin d’éviter les risques d’asphyxie.

Un effet dévastateur

Dès le 4 août, les compagnies internationales ont autorisé le travail à distance de leurs employés, les ambassades évacuaient leur personnel hors de Moscou et les compagnies russes donnaient des jours de congé et des heures de repos supplémentaires, à charge pour les salariés de rattraper ce temps par le travail en septembre. Les Etats-Unis et l’Italie ont également déconseillé de voyager à Moscou à cause de la pollution de l’air.

 

La fumée, combinée avec la chaleur, a eu un effet dévastateur sur la population moscovite, les morts remplissant les morgues à la limite de leur capacité. Le service des urgences travaillant sans relâche n’a pu apporter qu’une aide limitée aux personnes en difficulté ; le système médical public est vétuste et les hôpitaux ne sont pas équipés d’air conditionné. Les incendies ont également souligné l’insuffisance des ressources pour la lutte anti-incendie, tant matérielles qu’humaines. L’organisme de défense anti-incendie russe a reçu près de 500 000 dollars (environ 40 000 €) de dotation financière en 2010, soit 15% de moins qu’en 2009. C’est ainsi que la Russie a dû faire appel à l’aide internationale, italienne et française, en plus de l’aide de la Biélorussie, de l’Ukraine, du Kazakhstan, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. L’armée a été déployée pour soutenir les pompiers et les groupes de volontaires.

 

La lutte anti-incendie a par ailleurs été compliquée par une prévention quasi-inexistante. Le code forestier remanié en 2006 sous la présidence de Vladimir Poutine a en effet annulé le système centralisé de contrôle incendie dans les forets. La fonction de garde forestier a pratiquement été réduite à néant. De même, la prévention a été transférée aux locataires des terres forestières, ces derniers ne remplissant que très rarement leurs obligations en l’absence de moyens de contrôle. De nombreuses forêts ne sont pas louées, leur prévention anti-incendie se trouvant de fait non réglementée.

 

En réaction aux désastres causés par le feu, le gouvernement russe s’est engagé à compenser toute maison brûlée à hauteur de 100 000 dollars et toute autre possession perdue dans les incendies à hauteur de près de 6 700 dollars. Le secteur de l’assurance est très peu développé en Russie et très cher, les maisons de campagnes ne sont généralement pas assurées. De plus, les familles des personnes décédées vont recevoir près de 32 300 dollars. Des maisons vont être érigées en remplacement des habitations brûlées sous haute surveillance vidéo pour éviter le détournement d’argent et la corruption. Le budget total pour indemniser les victimes de leurs pertes se monte à près de 167 million de dollars. De nombreux fonds d’aide aux victimes ont été créés, qui ont reçu la contribution du président Medvedev de près de 11 700 dollars, ainsi qu’à sa demande, de nombreuses contributions des membres du parti majoritaire, Russie unie. Enfin, il est prévu une dépense de près de 1,8 milliard de dollars pour l’achat de matériel de lutte anti-incendie.

Conséquences économiques

La chaleur et la pollution one cependant eu quelques répercussions économiques favorables. Ainsi, les ventes (et les prix) des ventilateurs et des climatisations n’ont cessé de grimper, de même que la consommation et le prix de l’électricité. Pour échapper aux appartements enfumés et surchauffés, les Moscovites se sont refugiés dans les chambres d’hôtels ou les centres commerciaux, lorsqu’ils n’ont pas dormi au bureau ou dans leurs voitures. De même, pour éviter le métro, où était observée la plus forte concentration de dioxyde de carbone, de nombreux habitants ont fait appel aux taxis climatisés. Enfin, dès le retour de la fumée toxique début août, de nombreux Moscovites ont quitté la ville pour le week-end ou une semaine sans regarder ni à la destination ni à la dépense. Les banques ont ainsi vu le nombre de crédits à la consommation grimper en flèche dans les mois de juillet et d’août.

 

En revanche, la sécheresse engendrée par la chaleur record a décimé les récoltes de céréales, prévues en baisse de plus de 25% par rapport à l’année passée, à un niveau tout juste suffisant pour couvrir les besoins nationaux. De ce fait, le premier ministre Vladimir Poutine a déclaré début août une interdiction d’exportation du 15 août au 31 décembre. L’année passée, les exportations russes de céréales ont contribué à 17% du volume total des échanges de céréales sur le marché mondial. La Russie se relève tout juste du système agricole communautaire désastreux mis en place sous le régime communiste, et les sécheresses de cet été ont laissé de nombreux fermiers russes au bord de la faillite. Le résultat prévu est une hausse sensible des prix des produits à la consommation, ainsi que de nouveaux et énormes besoins en financement du secteur agricole russe. Tout l’espoir repose donc une fois de plus sur le gouvernement russe, qui a tant déçu au cours de l’action de lutte anti-incendie, mais qui ne devrait pas lésiner sur les subventions pour gommer ses erreurs alors que la campagne pour les élections présidentielles de 2012 commencera dès la fin de l’année.