Le bilan des traversées clandestines en Méditerranée s’aggrave de jour en jour. Embarqués sur des bateaux pourris, des centaines de migrants trouvent la mort avant d’arriver en Europe. Ceux qui parviennent à prendre pied en Grèce, à Malte ou en Italie sont entassés dans des centres d’accueil surpeuplés d’où ils sont renvoyés au bout de quelques jours pour aller grossir le plus souvent les rangs des sans-papiers dans le reste du Vieux continent.
Cette situation dramatique ne peut laisser les Européens indifférents et même si la politique d’immigration relève, pour l’essentiel, de la compétence des Etats membres, nul ne comprendrait que l’Union ne tente pas au moins de coordonner leurs efforts pour lutter contre les conséquences désastreuses des flux migratoires. La « ministre européenne des affaires étrangères », l’Italienne Federica Mogherini, a parlé à juste titre d’une « obligation morale ». Celle-ci exige que l’Europe se mobilise enfin pour venir en aide aux réfugiés en détresse.
Federica Mogherini : « Nous n’avons plus d’alibi »
Les Européens ont trop longtemps fermé les yeux. « Nous n’avons plus d’alibi », a déclaré Federica Mogherini. Au nom même des valeurs qu’elle défend, l’Europe ne saurait rester inactive. Certes il serait injuste de faire une fois de plus de l’UE un bouc émissaire. Les migrants sont prêts à tout pour traverser la Méditerranée, sous la conduite de trafiquants sans pitié. Ils savent qu’ils risquent leur vie et il n’est pas facile de les dissuader de prendre la mer. Il n’est pas facile non plus de les intercepter dans les vastes espaces maritimes où beaucoup échappent à la surveillance de l’agence Frontex, chargée de coordonner les contrôles aux frontières extérieures de l’Union.
A moins d’ouvrir largement ses portes, comme le recommandent certains experts, l’Europe, divisée sur ces questions comme elle l’est sur beaucoup d’autres, est assez démunie face aux assauts des milliers de réfugiés qui se pressent près de ses rivages. Tant que leurs pays d’origine demeureront incapables de les retenir en leur assurant bien-être et sécurité, ils continueront de grossir la foule des « boat people » en quête d’un avenir meilleur. En attendant que les Etats qu’ils ont choisi de fuir retrouvent la paix et la stabilité, quelle peut être aujourd’hui la réponse de l’Union européenne ?
Donald Tusk : pas de solutions rapides
Les dirigeants européens ont conscience eux-mêmes des limites de leur action. « Il n’y a pas de solutions magiques », a rappelé avec force Ferderica Mogherini. « Nous ne devons pas attendre de solutions rapides aux causes profondes des migrations », a confirmé le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, avant de réunir, le 23 avril, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. Les dix mesures d’urgence proposées par la Commission européenne pour répondre à l’aggravation de la crise s’inscrivent donc dans la continuité de la politique migratoire mise en place depuis une vingtaine d’années par les Européens, mais elles visent à renforcer certaines des dispositions déjà adoptées par l’UE et à accélérer leur mise en œuvre. Le but est de ralentir les flux migratoires et d’aider les Etats directement concernés à mieux les gérer.
Les propositions de la Commission sont d’une double nature. Les unes ont pour objectif d’empêcher les réfugiés de quitter les côtes africaines, les autres de réglementer l’accueil de ceux qui seront passés au travers des mailles du filet. Au titre du premier objectif, le plan présente les cinq actions suivantes : l’augmentation des moyens financiers et matériels destinés aux opérations de contrôle et de sauvetage ; la confiscation et la destruction des embarcations utilisées par les trafiquants ; l’accroissement de la coopération entre les organes de l’Union pour lutter contre les trafiquants ; un partenariat avec les pays voisins de la Libye pour bloquer les routes empruntées par les migrants ; l’envoi d’officiers de liaison dans des pays tiers pour collecter des informations sur les flux migratoires. Au titre du second objectif, c’est-à-dire de la gestion du droit d’asile, cinq autres mesures sont prévues : une répartition plus équilibrée des réfugiés entre les Etats membres ; l’envoi d’équipes du Bureau européen de soutien à l’asile dans les pays d’accueil ; la mise en place d’un programme de réinstallation dans les Etats membres ; la prise des empreintes digitales pour identifier les migrants ; le renvoi rapide des candidats non admis.
Contrôler et sauver
Ces orientations sont conformes aux demandes des pays qui, comme l’Italie, sont les premiers exposés. On retiendra en particulier l’augmentation des moyens dédiés aux opérations de contrôle et de sauvetage. L’UE admet qu’il lui incombe non seulement de contrôler les frontières, conformément au mandat confié à l’agence Frontex et symbolisé depuis le début de l’année par l’opération Triton, mais aussi de sauver les migrants en difficulté, comme l’a fait l’Italie en lançant l’an dernier l’opération Mare Nostrum. Il est important que ces deux missions ne soient plus dissociées et que l’accent soit mis fortement sur la lutte contre les trafiquants, qualifiés de « terroristes » par François Hollande. Autre innovation, le partage du fardeau entre les Etats membres par une répartition plus équilibrée des migrants a été souvent évoqué sans jamais être mis en œuvre.
L’application de ce plan n’ira pas sans tiraillements ni querelles entre les pays européens, qui sont loin d’être d’accord sur l’accueil des immigrés. Mais s’il entre vraiment en vigueur, il marquera une inflexion notable dans les politiques migratoires de l’Union européenne.