France, Italie : le politique à l’épreuve du coronavirus

Le laboratoire d’idées Terra Nova publie une série de réflexions sur les développements de l’épidémie de coronavirus et sur les multiples conséquences qu’elle aura aussi bien à court qu’à long terme. Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po Paris et professeur associé à la School of Government de la Luiss (Libre université internationale d’études sociales) de Rome, compare l’attitude des Français et celle des Italiens envers leurs gouvernements. Les premiers, parce qu’ils attendent beaucoup de l’Etat, se montrent particulièrement sévères alors que les seconds, en dépit du rapport tourmenté qu’ils entretiennent avec leur Etat, approuvent à une large majorité la réaction de leur gouvernement face à la crise.

Le chant des confinés
You tube à Palerme

L’épidémie du coronavirus met à l’épreuve la politique et ses responsables comme en attestent les exemples italien et français. En Italie, pays qui compte désormais le plus grand nombre de décès, le gouvernement Giuseppe Conte, fortement impopulaire avant la crise, bénéficie d’un large consensus, en dépit de ses décisions souvent improvisées et contradictoires (comme en France), des critiques de l’opposition, en particulier celles formulées par Matteo Salvini, le leader de la Ligue, et des fortes tensions avec les présidents des régions les plus touchées par l’épidémie, notamment ceux de la Lombardie et de la Vénétie, tous deux par ailleurs membres de la Ligue. Le sondage réalisé les 16 et 17 mars par le sociologue Ilvo Diamanti et publié dans La Repubblica du 18 mars fait apparaître que 7 Italiens sur 10 soutiennent le chef du gouvernement, un chiffre jamais atteint depuis 10 ans que ce type d’enquête est réalisé. Une écrasante majorité des personnes interrogées approuve aussi l’action du gouvernement.

C’est ce que confirme une enquête, comparative celle-là, effectuée par Kandjar du 19 au 21 mars dans les pays du G7 (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne, Canada, Etats-Unis et Japon) : 76% des Italiens « approuvent plutôt et fortement la façon dont leur gouvernement réagit à la pandémie », pourcentage le plus élevé. Cette même étude montre que 67% des Italiens font confiance à leur gouvernement « pour prendre les bonnes décisions à venir ». Dans le même temps, plus la population se rassemble derrière son exécutif et communie dans une ferveur nationale qui s’exprime à travers l’ensemble du pays en empruntant de multiples formes, plus elle s’éloigne de l’Union européenne.

Seuls 35% des interviewés par Ilvo Diamanti expriment un avis favorable envers l’Union européenne. Quelques jours plus tôt, dans une autre enquête, 88% des Italiens estimaient même que l’Union européenne n’aidait pas l’Italie face au coronavirus. Et pour 67%, le fait d’appartenir à l’UE constituait un désavantage, 20 points de plus qu’en novembre 2018, date de la précédente enquête. Et à la question posée par Kandar, « comment évaluez-vous la coopération entre les pays européens » face à l’épidémie, les Italiens à 67% estiment qu’elle est assez mauvaise et même très mauvaise, le plus haut pourcentage des opinions des pays européens du G7 (43% en France).

Les Français du soutien à la critique

En France, tous les sondages réalisés montrent que les Français ont été, eux aussi et dans un premier temps, rassemblés autour de l’exécutif. L’enquête Elabe des 16 et 17 mars exprime un soutien quasi-total à nombre de mesures annoncées alors par le Président de la République et le Premier ministre : ainsi 97% des Français approuvent les mesures économiques, 96% la mobilisation de l’armée dans le Grand Est, 94% la fermeture des frontières de l’espace Shengen, 93% l’instauration du confinement pour au moins 15 jours. Ce que confirme le sondage de l’IFOP publié dans le Journal du Dimanche du 22 mars. En revanche, selon le sondage d’Elabe, les Français se montraient déjà dubitatifs face à la gestion de la crise.

Ce sentiment n’a fait qu’empirer en une semaine. 87% des Français se déclarent désormais inquiets devant la propagation du virus dans le sondage Elabe des 23 et 24 mars, 73% que la France n’est pas prête (+16 points), 56% que ce dossier est mal géré par le pouvoir (+14 points). Résultat : seuls 48% des Français déclarent avoir confiance dans l’exécutif, ce qui représente une chute de 11 points. Cependant, tout n’est pas joué, comme le montre le sondage Kandar. En effet, en proportion moindre que les Italiens, les Français sont quand même 61% à approuver la façon dont le gouvernement réagit face au Covid 19 et 63% disent lui faire confiance pour prendre à l’avenir les bonnes décisions. Pour le moment, nous n’avons pas de sondage sur l’opinion des Français envers l’Union européenne pour pousser plus loin une comparaison sérieuse avec le voisin transalpin.

Les Italiens recherchent de la protection

Ces deux situations sont riches d’enseignement. Elles renversent notre approche comparée et traditionnelle de la France et de l’Italie, la première étant supposée être caractérisée par un Etat fort auquel les citoyens adhèrent, tandis que les Italiens entretiendraient un rapport tourmenté à leur Etat. Or, l’anxiété, l’angoisse et la peur devant le nombre extrêmement élevé de morts amènent les Italiens à rechercher de la protection. D’où le rassemblement autour des institutions surtout dans une conjoncture où une large partie de la population a le sentiment d’être délaissée par les voisins européens. D’ailleurs, cette quête de protection amène 91% des Italiens à approuver la formule : « Pour garantir la sécurité de tous, l’Etat doit limiter la liberté des citoyens » (sondage d’Ilvo Diamanti réalisé les 16 et 17 mars et publié par La Repubblica le 23 mars).

Cette aspiration sécuritaire et protectrice, bien loin des débats habituels sur le bon équilibre entre libertés publiques et exercice de la contrainte légitime, tend à se formuler au niveau de la nation, l’Union européenne ayant brillé par son absence dans une longue première séquence. Reste à savoir si les récentes décisions de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne, qui suspend temporairement les règles de Maastricht et laisse filer les déficits publics, modifieront cette représentation largement partagée de l’impuissance européenne. On peut néanmoins en douter car ces nouvelles orientations restent quelque peu abstraites pour les Italiens et sans doute aussi pour les Français qui attendent avant tout, et aussi vite que possible, des masques, des tests, des médecins, des infirmières, des aides-soignants et tout autre renfort possible dans les hôpitaux.

L’impopularité d’Emmanuel Macron

En revanche, peut-être parce que précisément ils attendent énormément de leur Etat, encore plus en situation de crise, les Français, après un premier temps d’unité derrière celui qui se présente comme le « chef de guerre », se montrent particulièrement sévères à son égard et à celui du gouvernement qui semblent les décevoir. Ils leur reprochent son impréparation, de ne pas avoir pris suffisamment de précautions pour éviter la diffusion du virus ou encore le manque de masques et de test. La communication souvent contradictoire du gouvernement n’a certainement pas aidé.

Le Président de la République, après un bref moment où il a bénéficié d’un large soutien, n’arrive manifestement pas à l’occasion de l’épidémie à enrayer son impopularité enregistrée depuis longtemps par les sondages, confirmée par le premier tour des élections municipales et marquée par la mobilisation des gilets jaunes ou encore l’opposition à la réforme des retraites. Dans son pays, Giuseppe Conte était aussi impopulaire avant le coronavirus. Mais, pour de multiples raisons, il ne clive pas autant qu’Emmanuel Macron. Sa popularité actuelle n’est peut-être pas tant liée à sa personne et à son action qu’au rôle institutionnel qu’il occupe et incarne. Lui a priori ne joue pas à cette occasion son avenir politique : il n’a ni groupe parlementaire ni parti politique et encore moins une élection présidentielle à venir. D’une certaine façon, en France, celui qui s’est voulu Jupiter joue, une fois de plus, mais dans des circonstances dramatiques, une grande part de sa crédibilité.

Viendra le temps du bilan

Lorsque l’épidémie sera jugulée, viendra le temps du bilan. Et celui des inévitables critiques sur les politiques mises en place – ou pas – par les pouvoirs publics. Celles-ci s’expriment déjà de la part des oppositions, mais aussi sur les réseaux sociaux de la part des citoyens des deux pays. Si les décès continuent de s’accumuler, ce qui inévitablement se produira, la responsabilité risque fort d’en être attribuée à l’exécutif et à l’Etat. Ce qui pourrait accroître encore la défiance politique structurelle qui existe dans les deux pays. De même, tout dépendra du rythme et des difficultés de la sortie de crise du point de vue économique et social. Les populistes restent à l’affût. D’autant qu’ils ne cessent de proclamer qu’ils avaient raison depuis le début de réclamer la fermeture des frontières et, pour certains d’entre eux, un confinement généralisé et extrêmement strict.

L’enjeu pour les gouvernements est donc fondamental. Il s’agit pour eux de limiter la contagion, d’assurer la sécurité sanitaire dans leurs pays, d’expliciter clairement et avec le plus de transparence possible les choix qu’ils font, et d’anticiper la transition post-épidémique. Ce qui suppose de repenser le rapport à la globalisation, de relancer l’Union européenne, de repenser les bases du modèle social et sanitaire. Le tout alors qu’il faut agir dans l’urgence. Une véritable gageure !