Ces questions méritent d’être posées et les réponses apportées ne sauraient être simplistes ou manichéennes. C’est pourquoi nous souhaiterions les poser ici en nous bornant à les inventorier et en appelant vivement les visiteurs de ce site à apporter et à partager leurs propres analyses sur ce sujet de la réforme. « Boulevard extérieur » se veut un site d’analyse et d’expertise. Il peut aussi devenir un lieu de discussion.
Evoquer la difficulté sinon l’échec des réformes en désignant de manière unilatérale des responsables, que ce soit l’Exécutif et le Législatif ou les catégories concernées, serait en effet une facilité à laquelle il convient de ne pas céder.
La première question qui se pose est évidemment celle de la nécessité et de l’opportunité de la réforme. Les réformes sont-elles nécessaires pour la bonne et simple raison que toute société évoluant avec le temps, il importe d’en modifier et d’en adapter en permanence les structures ? Cette question renvoie naturellement à une autre interrogation : la France a-t-elle pris du retard et accuse-t-elle ou non un retard particulier et préoccupant dans certains domaines comme l’enseignement supérieur, la recherche, la gestion hospitalière, l’adaptation du commerce à des comportements nouveaux des consommateurs ?
Capital humain et croissance
Question subsidiaire mais qui n’est point anodine : est-il de bonne méthode, si la réforme est nécessaire, de la coupler avec une autre préoccupation qui est celle des économies budgétaires ? Peut-on en effet réformer sans y mettre le prix ? La meilleure façon de faire accepter une réforme ne serait-elle pas de la conjuguer avec un apport de moyens supplémentaires ? Prenons l’exemple d’actualité de l’Université et de l’Hôpital. Les économistes conviennent que le capital humain est le premier facteur de croissance du PIB. Le capital humain, c’est la tête, autrement dit le savoir, la recherche et l’innovation ; c’est aussi le corps, c’est-à-dire la santé et la longévité. Réformer l’Université et l’Hôpital en leur donnant davantage de moyens, n’est-ce pas investir dans le capital humain ? Qui, dès lors, contestera la réforme ?
Bien entendu, se pose la question de la méthode. Faut-il mener toutes les réformes de front ou, au contraire, choisir de les mener à bien l’une après l’autre ? Convient-il de bousculer les intéressés au risque de les bloquer ou, au contraire, de procéder de manière progressive avec un réel danger d’enlisement et de dilution ?
La réforme peut-elle se décréter du sommet ? Ne doit-elle pas procéder de la concertation ? Dès lors que celle-ci a eu lieu et que l’étape du dialogue social a été respectée, ne faut-il pas accepter que l’Exécutif tranche et que le législatif légifère ? Dans une démocratie qui se respecte, ne revient-il pas aux élus de la nation d’arbitrer entre le bien commun, le bien de tous, et les intérêts parfois contradictoires des différentes corporations ? Les différentes catégories professionnelles n’ont-elles pas tendance à voir midi à leur clocher et à ignorer ce qui relève de l’intérêt de tous ?
La réforme peut-elle se concevoir sans que soit regardé ce qui se passe hors de nos frontières ? Peut-on intelligemment réformer sans procéder au « benchmarking », ce terme anglo-saxon qui veut tout simplement dire comparer, comparer ce que nous avons l’idée de faire avec ce que font nos voisins en prenant en compte leurs réussites mais aussi en évitant leurs échecs ?
Responsabilité morale
La réforme ne suppose-t-elle pas la confiance mais aussi la responsabilité morale ? Confiance entre le réformateur et les réformés, responsabilité morale de ceux qui, au pouvoir, conduisent la réforme et de ceux qui, dans l’opposition en contestent la forme ou l’opportunité, responsabilité morale aussi de ceux qui vivent cette réforme ? Les premiers bénéficieront-ils de la confiance des seconds s’ils donnent le sentiment de n’imposer la réforme ou de ne s’y opposer qu’à des fins électoralistes ? Ceux-là se comporteront-ils en citoyens responsables s’ils cèdent à des réflexes purement corporatistes ?
Juger du bien fondé de la réforme et de la réussite de sa mise en œuvre ne suppose-t-il pas d’être lucide et de n’ignorer ni les erreurs, ni les maladresses de ceux qui les conduisent ni les égoïsmes et les résistances catégorielles de ceux qui sont concernés et moins encore les menées subversives de groupes extrêmes qui croient naïvement qu’une explosion de la société est la condition de sa transformation radicale ?
Autant de questions énumérées ici en vrac à seule fin d’alimenter un échange qui semble nécessaire et d’actualité et que nous aimerions susciter sur « Boulevard Extérieur » à l’heure, notamment, où l’université « ce grand corps malade, vient de subir des lésions probablement irréversibles. », comme l’écrit Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur (édition du 14-20 mai 2009).