Guantanamo : l’enjeu européen

Au cours d’une prochaine visite à Washington (du 15 au 17 mars), une délégation européenne posera une quinzaine de questions au nouveau gouvernement de Barack Obama sur la fermeture du camp de Guantanamo, prévue d’ici un an. La démarche européenne est toutefois incertaine : les pays de l’UE se divisent quant à l’accueil de certains ex-détenus "libérables" mais non "renvoyables" dans leur pays (Chine, Syrie, Tunisie, Algérie), sous peine de persécutions. Et, dans le même temps, de récentes positions américaines ne vont pas dans le sens d’une rupture totale avec ces camps de détention.

"Mes collègues sont convenus que, pour l’essentiel, c’est un problème américain", a déclaré le ministre tchèque de la justice Ivan Langer, dont le pays préside l’Union, lors d’une réunion avec ses partenaires européens le 26 février à Bruxelles. D’autant plus "qu’il n’y a plus aucun citoyen de l’Union" à Guantanamo. Selon le droit international, donc, rien n’oblige l’UE à agir. Même si elle se félicite de la disparition du symbole des dérives anti-terroristes de l’ère Bush, notamment la torture. 

Mais agiter ce postulat, tout comme dire qu’un tel accueil sera une décision "exclusive" de chaque Etat membre, ne règle rien. Il y a une soixantaine de détenus (sur environ 245 encore sur place) non passibles de poursuites aux Etats-Unis, selon les ONG. A ce jour, seuls la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grande-Bretagne se disent prêts à assister les Etats-Unis et à prendre leur part d’ex-détenus "au cas par cas". A l’inverse, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas ont exclu cette possibilité. D’autres positions restent confuses, comme celle de l’Allemagne, divisée au sein de sa coalition droite-gauche. Toutefois une approche européenne s’impose dès lors que d’anciens prisonniers seraient accueillis dans certains des 22 pays de l’UE qui composent la zone Schengen sans contrôles aux frontières intérieures, plus la Norvège, l’Islande et la Suisse (cette dernière se dit également ouverte).

De Guantanamo à Bagram

Le commissaire Jacques Barrot et le coordinateur anti-terrorisme de l’UE, Gilles de Kerchove, préconisent, dans une note d’information confidentielle, "une évaluation des risques que les anciens détenus présentent pour la sécurité, sur la base d’informations complètes fournies par les Etats-Unis". A Bruxelles, on évite en revanche d’évoquer la polémique sur la participation de plusieurs pays européens aux vols secrets de la CIA, lesquels ont permis de transférer des terroristes présumés à Guantanamo.

Jacques Barrot et Gilles de Kerchove, qui sont aussi les émissaires européens envoyés à Washington (avec le ministre tchèque), posent une première condition : "le centre de Guantanamo ne saurait être simplement déplacé". D’où la question-clé qui attend les Etats-Unis : comment comptent-ils empêcher de nouveaux Guantanamo ailleurs dans le monde ? La réponse pourrait décevoir. De fait, saisi par quatre détenus de la prison américaine de Bagram (Afghanistan) - ils sont plus de 600 au total - où les conditions de détention sont vivement dénoncées par les ONG, le nouveau gouvernement a suivi son prédécesseur : il leur a refusé, il y a une semaine, de contester leur détention devant les juridictions américaines. Motif : l’Afghanistan est une zone de guerre.

Décisions individuelles

Les envoyés de l’UE devront, en outre, obtenir un maximum d’informations sur le profil des "libérables", seuls détenus acceptables pour l’UE, à condition qu’ils souhaitent venir en Europe. "Il faut que ce soient des personnes qui ne portent pas potentiellement atteinte à la sécurité publique, qu’elles soient volontaires pour venir dans notre pays, car nul ne doit se voir imposer la présence sur notre territoire, et elles doivent avoir un lien avec notre pays, qui justifie la présence en France", a résumé le ministre français de l’Intérieur, Eric Besson. Les questions porteront aussi sur le statut des ex-détenus (différence entre "libérables" et "transférables"). Les Américains devront aussi "expliquer comment ils sont parvenus à la conclusion que ces détenus ne sont plus dangereux" et dire s’ils ont "l’intention d’indemniser les libérés". "Il y a toutes sortes de difficultés d’ordre juridique et non des moindres, qui devraient être évaluées et étudiées en profondeur", a résumé le ministre espagnol de l’intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba, disant tenir à "une position européenne commune" sachant que "les décisions finales devraient être des décisions individuelles".

"Ce dossier va prendre des mois", confie une source au Conseil. Ce voyage n’est qu’une première étape de longues négociations. Mais, déjà, pour régler le problème de la libre circulation des ex-détenus dans l’Espace Schengen, la note d’information propose que ce droit puisse "être toutefois limité tant par l’Etat membre qui délivre le titre de séjour que par d’autres Etats Schengen".