Le poème de Günter Grass publié par la presse allemande et intitulé « Ce qui doit être dit », qui présente Israël comme un danger pour la paix mondiale, a suscité des polémiques en Allemagne, en Israël et au-delà. Voici l’Etat juif, doté de la capacité nucléaire, menaçant « un lieu où l’on a pas pu prouver l’existence, ne fût-ce que d’une seule bombe atomique » (l’Iran) ! S’appuyant sur une loi qui oblige tout Allemand né avant 1928 à demander une autorisation pour se rendre en Israël, le ministre de l’intérieur a déclaré Günter Grass personna non grata dans son pays. Une décision « cynique et idiote », a dit l’historien Tom Segev qui critique en même temps les propos « démesurément égocentriques et pathétiques » de l’écrivain.
Du côté des sociaux-démocrates allemands pour lesquels Günter Grass avait battu les campagnes électorales depuis la candidature de son ami Willy Brandt à la chancellerie en 1969, l’embarras est grand. Ils ne veulent plus de son soutien. « Son temps est passé », dit-on.
Il est facile en effet de voir dans le poème de Grass une des dernières provocations d’un vieil homme –il aura 85 ans au mois d’octobre – qui se veut briseur de tabous. Il avait déjà surpris ses admirateurs en 2006 en reconnaissant avoir été membre de la Waffen SS dès 1944. De quelqu’un qui passait dans les milieux de gauche en Allemagne pour une autorité morale, l’aveu était pour le moins dérangeant. Mais ramener une errance de l’analyse politique à un effet de l’âge serait ignorer le sens plus profond des déclarations de Günter Grass.
Le prix Nobel de littérature (1999) traduit le malaise d’une génération qui traine toujours la mauvaise conscience d’avoir assisté, ou pire participé, à la tragédie nazie sans brocher. « Si nous avions su… » est son remord permanent. La crainte de passer à côté de l’inacceptable continue de la tarauder. Elle n’est cependant pas seule dans cette revendication vaniteuse de la mauvaise conscience. Pendant les marches pacifistes de Pâques qui sont une tradition outre-Rhin, les manifestants ont apporté leur soutien à Grass. Ils ne sont pas anti-israéliens, encore moins antisémites, mais ils sont convaincus qu’en tant qu’Allemands, avec la responsabilité historique particulière qui pèse sur eux, ils doivent être solidaires des victimes, et que les victimes aujourd’hui sont les Palestiniens.
Les mêmes contradictions sont apparues lors de la récente élection du président de la République fédérale. Contre Joachim Gauck, le parti de la gauche radicale Die Linke, qui a fait de la cause palestinienne un des points de son programme, est allé cherche Beate Klarsfeld connue pour ses sympathies sionistes.
En Allemagne le « politiquement correct » veut qu’on ne critique pas Israël. Un autre écrivain allemand de la même génération que Günter Grass, Martin Walser, appelait « massue morale » cette forme de censure intellectuelle qui empêche de regarder l’histoire allemande ou la relation avec l’Etat juif autrement que selon les canons du conformisme. Il ne devrait pas être interdit de les bousculer. A condition de ne pas tomber dans les excès inverses et de garder le sens de la mesure, surtout à propos d’une région aussi compliquée que le Moyen-Orient.