La subtilité, et la difficulté, de la position française face à l’embrasement du conflit israélo-palestinien, sont manifestes dans les communiqués publiés par l’Elysée à l’issue de deux entretiens du président de la République, l’un, mercredi, avec le premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahou, l’autre, jeudi, avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Au premier, François Hollande a « exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza. Il lui a rappelé que la France condamne fermement ces agressions. ». Au second, le président de la République a « exprimé son inquiétude concernant la situation à Gaza et a déploré que les opérations militaires en cours aient déjà fait de nombreuses victimes palestiniennes. ».
Autrement dit, la France assure Israël de sa solidarité mais s’inquiète simplement de la situation à Gaza, sans préciser les responsables. La France condamne les agressions venant de Gaza mais se contente de déplorer les victimes palestiniennes provoquées par des opérations militaires, pas autrement précisées. Elle ajoute même que le gouvernement israélien est habilité à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population ». Le chèque en blanc donné à Benjamin Netanyahou est à peine corrigé par un appel à prévenir « l’escalade des violences ».
C’est une manière de maintenir un pseudo-équilibre entre les deux partis, auquel tient officiellement la diplomatie française, comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, tout en laissant entendre où se situent, du point de vue de Paris, les responsabilités.
La tradition de la SFIO
Cette proximité implicite avec Israël n’est pas une surprise. Quand il était premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande était déjà un des plus pro-israéliens des dirigeants sociaux-démocrates européens. Il se plaçait ainsi dans la tradition de la gauche socialiste française, depuis la SFIO de la IVème République. François Mitterrand aussi appartenait à cette tradition mais il n’en fut pas moins le premier chef d’Etat étranger à parler publiquement à la Knesset de la nécessité pour Israël de reconnaître un Etat palestinien.
A l’automne dernier, François Hollande a été très chaleureusement reçu en visite officielle à Jérusalem. Il y a rappelé les positions minimales de la France, et plus largement de la communauté internationale, pour la solution du problème israélo-palestinien : fin de la colonisation, garantie de la sécurité d’Israël et coexistence de deux Etats. Mais c’est sa fermeté sur le programme nucléaire iranien qui a été remarquée par ses hôtes israéliens. Au même moment, Laurent Fabius venait de refuser un projet d’accord entre les Etats-Unis et l’Iran qui, du point de vue français, ne donnait pas de garanties suffisantes contre une possible bombe iranienne. Or la possession par Téhéran de l’arme nucléaire est vue comme une menace existentielle en Israël.
Les nouvelles capacités militaires du Hamas
Tout en insistant sur la volonté de maintenir une position équilibrée, les responsables français attirent l’attention sur la nouveauté de la situation apparue au cours des derniers jours, après l’assassinat de trois jeunes Israéliens par des Palestiniens et l’agression mortelle dont a été victime un jeune Palestinien de la part d’Israéliens, qui ont conduit aux représailles et contre-représailles actuelles. La nouveauté tient aux armes dont dispose et use le Hamas depuis la bande de Gaza. L’organisation palestinienne possède un stock de roquettes deux fois plus important que lors des précédents affrontements du même type à l’automne 2012. Et ce n’est pas seulement une question de quantité, mais aussi de qualité. Les missiles de fabrication syrienne ou iranienne, voire locale avec l’aide des Iraniens, ont une portée jusqu’à maintenant inégalée. Le missile iranien M-75 a une portée de 75 km ; le missile d’origine syrienne M-302, 160 km. Toutes les villes israéliennes sont potentiellement sous le feu des roquettes du Hamas. Elles sont protégées par le « Dôme de fer », un système de défense antimissiles qui jusqu’à maintenant a fait ses preuves.
Après un satisfecit décerné à Mahmoud Abbas pour ses « efforts pour parvenir à un apaisement », François Hollande affirme que « la crise actuelle rappelle l’impérieuse nécessité de reprendre les négociations afin de parvenir à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. La France reste mobilisée pour aider Israéliens et Palestiniens à atteindre cet objectif. »
Les « paramètres Clinton »
Mais cette déclaration est un constat d’impuissance qui n’est d’ailleurs pas propre à la France ou à l’Europe. (Les ministres des affaires étrangères des Vingt-huit doivent se réunir pour parler du Proche-Orient… le 22 juillet !) Après l’échec de Barack Obama au début de son premier mandat, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a tenté une sorte de « politique de la navette » entre Israéliens et Palestiniens pour sortir les négociations de l’impasse dans laquelle elles se trouvent depuis le début des années 2000. En vain. Et pourtant, comme le rappelle Laurent Fabius, « avec Israël et la Palestine, on connaît les paramètres de la solution, celle des deux États. »
Le ministre affaires étrangères fait allusion au sommet de Taba, en Egypte, qui a réuni en janvier 2001 les négociateurs israéliens et palestiniens. Jamais les positions des deux parties n’avaient été aussi proches, sur la base des « paramètres Clinton » (le président des Etats-Unis était en train d’achever son second mandat). Ces positions ont été consignées dans ce que les diplomates appellent le « non-papier Moratinos », c’est-à-dire un récapitulé non-officiel des discussions qui porte le nom de Miguel Moratinos, l’envoyé spécial de l’Union européenne pour le Proche-Orient. Le processus a été arrêté par les élections israéliennes qui ont vu la défaite du travailliste Ehud Barak et la victoire de la droite de Benjamin Netanyahou.
Aujourd’hui, il n’est pas difficile de deviner les prochaines étapes. Après les bombardements réciproques, quelques centaines de morts, voire une incursion de Tsahal dans la bande de Gaza, une trêve précaire sera conclue. Car ni Benjamin Netanyahou, ni les dirigeants du Hamas ou a fortiori Mahmoud Abbas n’ont intérêt à un embrasement généralisé. Mais il est à craindre que personne ne se saisisse de ces fameux paramètres de la paix, que les protagonistes acceptent sans vraiment y adhérer, et qu’aucune puissance extérieure ne soit en mesure de les leur imposer. Les populations civiles, israélienne comme palestinienne, qui fondamentalement sont lasses de la guerre, sont prises en otages, parce que leurs dirigeants n’ont pas le courage de risquer la paix.