L’Europe entre « fragilité » et « vitalité »

« Pour l’Europe le moment est venu d’agir ». Cette injonction n’est pas nouvelle et on peut sourire en entendant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, appeler une fois de plus les Européens, dans son discours du 16 septembre sur l’état de l’Union, à passer des paroles aux actes. Ses prédécesseurs ont tenté, eux aussi, de secouer les Etats membres pour qu’ils donnent à la construction européenne un nouvel élan, autrement que par des mots et des slogans. Malgré des avancées notables, les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. Pourquoi en irait-il différemment aujourd’hui ? C’est que les circonstances ne sont plus les mêmes. Les difficultés que traverse l’Europe l’obligent désormais, sauf à se renier, à tout mettre en œuvre pour sortir de la paralysie qui l’empêche, en de nombreux domaines, de tenir ses promesses.

La présidente de la Commission européenne a employé à plusieurs reprises dans son discours le mot de « fragilité » pour y opposer celui de "vitalité". Fragilité d’un monde atteint par une pandémie qui ne cesse de s’étendre. Fragilité d’une planète soumise aux effets d’un réchauffement climatique non contrôlé. Fragilité d’une Europe qui reste divisée face aux grands défis auxquels il lui faut répondre. L’Europe, dit Mme von der Leyen, doit montrer la voie à suivre pour « sortir de cette fragilité » et « acquérir une vitalité nouvelle ». Son ambition est modeste dans sa formulation sinon dans ses objectifs : « créer un mode de vie meilleur pour le monde de demain ». L’expression n’a pas été choisie au hasard. Elle vise à montrer que les politiques de l’Union, quelles que soient leur champ d’intervention, ne sont pas des inventions de bureaucrates coupés des réalités du terrain mais qu’elles ont pour but principal d’améliorer la vie des Européens.

Une Europe de la santé

Les priorités affichées par la présidente de la Commission européenne sont certes largement dictées par l’actualité mais elles esquissent aussi un modèle de société qui dessine une vision de l’Europe de demain et répond en partie aux attentes de ceux qui s’interrogent sur le projet européen. Au moment où, comme le dit Stanislas Guerini, délégué général de la République en marche, le parti d’Emmanuel Macron, « toutes les cartes sont rebattues par la crise », l’occasion paraît bonne de travailler à la fameuse « refondation » de l’Union européenne, cette refondation tant de fois annoncée, y compris par Emmanuel Macron, et tant de fois perdue de vue sous la pression des événements. Mme von der Leyen semble avoir une idée assez claire de l’Europe à laquelle elle aspire. Le programme qu’elle présente, un an après sa prise de fonctions, en définit les grandes lignes.

Bien entendu, la question sanitaire est désormais centrale. Après avoir laissé les Etats membres réagir en ordre dispersé à la pandémie, la Commission européenne multiplie les initiatives pour y faire face, notamment en se mobilisant pour favoriser la découverte d’un vaccin et en assurer l’accès aux Européens. Alors que la santé ne fait pas partie des compétences de l’Union européenne, sinon sous la forme d’un possible soutien aux actions des Etats membres, Mme von der Leyen propose de construire une Europe de la santé qui soit plus forte et plus unie. Ce sera, selon elle, l’un des sujets de la future Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui devra se pencher sur une réforme des traités. Paradoxalement, la pandémie, qui a renforcé dans un premier temps le « chacun pour soi » des Européens, aurait plutôt, dans un second temps, resserré leurs rangs autour d’un thème éminemment fédérateur.

Emploi, écologie, immigration

D’autres thèmes tracent les contours du projet européen de Mme von der Leyen, axé sur un mode de vie meilleur au lendemain de la crise. On en rappellera les axes principaux : la relance économique, appuyée sur un plan d’une ampleur inédite dont l’adoption a marqué, selon la présidente de la Commission, « un moment d’unité remarquable pour notre Union » et devrait susciter « notre fierté collective » ; le pacte vert, protecteur de l’environnement, encore renforcé par l’engagement de diminuer de 55% en 2030 les émissions de gaz à effet de serre ; le développement des nouvelles technologies, qui devra « faire de la décennie qui s’ouvre la décennie numérique de l’Europe » ; une nouvelle politique migratoire, fondée à la fois sur une meilleure gestion des frontières extérieures et sur une plus grande solidarité entre les Etats.

Si les objectifs fixés par la Commission sont atteints, les citoyens du Vieux Continent seront peut-être convaincus que l’Union européenne est la meilleure réponse à leurs peurs et à leurs espérances. Ajoutons-y la volonté de combattre le racisme, au nom des principes dont l’Europe se réclame. « Il est temps à présent de construire une Union véritablement antiraciste – en condamnant le racisme, mais aussi en agissant », a déclaré Mme von der Leyen. Les progrès accomplis en la matière sont « fragiles », a-t-elle souligné. Aussi cette question fera-t-elle l’objet d’une « attention prioritaire ». Elle doit rester au cœur du projet européen. « Dans cette Union, affirme Mme von der Leyen, la lutte contre le racisme ne sera jamais optionnelle ». Ces derniers mois, conclut la présidente de la Commission, « nous avons redécouvert la valeur de ce que nous avons en commun ». Puisse-t-elle être entendue par les autres dirigeants européens pour qu’enfin les actes suivent les paroles.