L’affrontement masqué

A l’approche des élections présidentielles américaines du 6 novembre, Dick Howard, professeur émérite à la Sony University de New York commente chaque semaine la campagne. L’opinion est unanime, Romney est sorti vainqueur du premier débat entre les deux candidats, mercredi 3 octobre. Quels arguments et quelles tactiques expliquent-ils ce succès inattendu et que signifie « victoire » ? 

Il faut distinguer les arguments électoraux des tactiques employées par Mitt Romney. Ces dernières étaient renforcées par le comportement mou, hésitant et peu combatif d’Obama. Le président semble s’être préparé à débattre avec le Mitt Romney des primaires, celui qui s’était voué aux mânes du Tea Party. Du moins, c’est ce que le président a expliqué dans son discours du lendemain. « J’ai rencontré hier, disait-il, un type vif et ouvert qui prétendait être Mitt Romney mais dont les arguments contredisaient tout ce que le candidat Républicain affirmait pendant sa campagne ». En effet, Mitt Romney avait mis en œuvre le « pivot » centriste et modéré que je n’étais pas le seul à décrire comme sa seule manière de rebondir[1] .

Mais le président n’en a pas tenu compte ; il n’a pas répondu du tac au tac pour relever les contradictions, mettre en question les chiffres avancés concernant le déficit, les impôts, ou l’assurance santé[2]. Pour comble, comme s’il oubliait qu’il était en campagne, Obama disait qu’il « soupçonnait » que leurs deux visions de la sécurité sociale étaient « similaires » — une affirmation qui lui interdirait d’insister dans un prochain débat sur les différences profondes dans leurs propositions concrètes. En un mot, Romney était constamment à l’attaque, malgré le culot de certaines de ses affirmations, alors qu’Obama était aux abonnés absents[3].

Infléchir la tendance

Certains minimisent la portée des débats, et surtout du premier, qui a pour effet de rehausser le statut du challenger devenu l’égal du président. En effet, Reagan a été solidement réélu après avoir clairement « perdu » son premier débat en 1984, tout comme George W Bush a « perdu » le sien en 2004. Mais il ne faut jamais oublier l’adage souvent répété par Bush senior, qui insistait sur le « momentum », la tendance qui infléchit et détermine la suite de la course. Une solide performance d’Obama aurait pu briser non seulement la candidature de Romney mais aussi celles des Républicains concourant pour le Congrès. Les argentiers de Romney, qui se demandaient s’ils ne feraient pas mieux de soutenir les députés et sénateurs afin de maintenir un contrepoids à la présidence au lieu d’investir dans une cause perdue, reviendront au bercail. L’échec du président sera payé cher, dans tous les sens du mot. S’il y a une consolation pour le camp d’Obama, c’est que leur candidat va se réveiller et qu’il reste quatre semaines avant l’élection.

Joe Biden contre Paul Ryan

Mais avant qu’Obama ne revienne à la charge lors des débats du 16 et du 22 octobre, ce seront les candidats à la vice-présidence, Joe Biden et Paul Ryan, qui s’affronteront le jeudi 11 octobre. Cette rencontre prend sans doute une importance inattendue. On verra si le choix audacieux de Paul Ryan, qui représente l’aile droite du parti, était un coup de génie ou une lourde erreur ! La nouvelle modération de Mitt Romney était fondée sur des promesses générales et non chiffrées concernant les impôts, le déficit, ou la sécurité sociale. Paul Ryan ne pourra pas en faire autant. La réputation du jeune président de la commission des finances est fondée sur le plan chiffré, qu’il avait fait voter par la Chambre, qui décrit « Le chemin vers la prospérité ». Ce projet ne cache pas sa radicalité ; il instaure le règne du marché dans tous les domaines de la société… à l’exception significative de la vie privée, surtout celle des femmes.

 Joe Biden pourra ainsi faire ce que le président n’a pas su faire : à travers Paul Ryan, il portera le fer contre ce « type vif et ouvert » qui a surpris Obama lors du premier débat. En outre, il pourra se rapporter aux bons résultats de septembre sur le front de l’emploi, et à la baisse du taux de chômage descendu en dessous de 8%. Enfin, il rappellera aux électeurs le fameux chiffre des « 47% » de la population qui, selon Mitt Romney, se croiraient « victimes » alors qu’ils vivent de la manne d’un Etat financé par la classe créatrice de la richesse nationale. Cette attitude, notera-t-il, explique l’opposition de Romney au sauvetage de l’industrie automobile, ce qui aurait dévasté le Nord-Est, et notamment l’Etat crucial d’Ohio.

Des mots sans effets

Il est surprenant que Mitt Romney ait décidé, dans la foulée de sa victoire, de faire un grand discours de politique étrangère le lundi 8 octobre. L’électeur américain n’est pas censé s’intéresser aux arcanes de la diplomatie.

Ce choix est d’autant plus curieux que le dernier débat, celui du 22 octobre, portera sur la politique étrangère et que ce n’est pas son domaine d’expertise[4]. C’est encore un terrain miné par le souvenir des excès moralisants et militaristes du gouvernement Bush. Il semble que Romney poursuive deux objectifs : apparaître comme un leader capable de prendre des décisions d’une portée nationale et en même temps d’élargir son attaque contre un président faible qui ne comprend pas que « l’espoir n’est pas une stratégie ». Or, faire appel aux valeurs nationales et au leadership indispensable des États-Unis sont des généralités bonnes à dire mais difficiles à mettre en œuvre — qu’il s’agisse de déterminer la « capacité » iranienne à fabriquer la bombe, d’articuler sa réponse avec celle des Israéliens, ou encore d’intervenir en Syrie[5]. Mais tout comme le « modéré » du premier débat, Mitt Romney se soucie peu de la mise en œuvre réelle de sa politique ; il s’agit avant tout d’effets rhétoriques, ce qui explique qu’il ne craint pas de changer de politique avec autant de facilité qu’il change de chemise ! 

 

 

[1] Commentaire Dick Howard du 3 octobre, 2012. Une comparaison des prises de position lors des primaires avec celles du premier débat se trouve dans le New York Times du 5 octobre sous le titre « Entering Stage Right, Romney Moved to Center ». 

[2] Il aurait été trop compliqué de mettre en question les affirmations de Romney selon lesquelles il avait réussi à pratiquer une politique bipartisane en tant que gouverneur de Massachussetts, et qu’il pourrait donc faire la même chose en tant que président. C’est à la presse qu’incombe cette mise en question comme on le voit par exemple dans l’article de Michael Wines dans le New York Times du 6 octobre, 2012.

[3] Je n’ai pas de bonne explication de ce comportement. On peut imaginer que les responsabilités présidentielles ne lui donnaient pas le temps de bien se préparer. Les commentateurs invoquent des raisons peu plausibles : selon Al Gore, le président, qui s’entraînait dans le Nevada, ne supportait pas l’effet de l’altitude de Denver (dit le « Mile High City ») ; d’autres font remarquer que son partenaire pour cet entrainement était John Kerry, qui souhaite manifestement être nommé ministre des affaires étrangères et ne voulait donc pas être trop sévère avec le président. Plus intéressant est l’argument d’un partisan d’Obama, Michael Tomasky, qui pose la question : après quatre années de frustration, de crise et de querelles partisanes, Does Obama Even Want to Win the Election ? (dans The Daily Beast, 7 octobre 2012.

[4] Dans son discours à la convention Républicaine, Romney n’avait pas mentionné l’Afghanistan, par exemple, ni non plus fait l’éloge de nos vaillants soldats qui portent la cause de la justice dans un monde difficile. 

[5] Barack Obama avait ciblé juste après la mort de l’ambassadeur américain au mois de septembre en disant que Romney « tirait d’abord et visait ensuite ». Le discours de lundi semble vouloir agiter le spectre d’Al Qaeda et la menace générale du terrorisme pour justifier une politique déterminée et forte.