Dès son adoption, le projet d’autoroute s’est heurté à une ferme opposition de la part des écologistes, qui protestaient contre une déforestation massive, 144.8 hectares d’arbres devant être abattus, et la destruction d’espèces menacées rompait l’équilibre de l’écosystème moscovite. Durant ces dernières années, les opposants ont fait l’objet de nombreuses menaces, agressions et arrestations. C’est ainsi qu’en novembre 2008, Mikhail Beketov, un journaliste d’investigation notoirement opposé à l’autoroute, a été agressé par des hommes masqués qui lui ont laissé de profondes lésions cérébrales. Les manifestations des opposants au projet ont, en règle générale, été interdites par les autorités moscovites.
Le conflit s’est aggravé depuis le début des travaux à la mi-juillet. Les écologistes, réunis dans le mouvement EcoProtection conduit par Evgenya Tchirikova, se sont opposé physiquement au chantier, campant sur le lieu des travaux. Ces camps ont été visités par des hommes masqués, provoquant de violentes altercations avec leurs occupants, qui ont par la suite été délogés par la police antiémeutes, arrêtés et battus dans leurs cellules. En réponse, la mairie de Khimki avait été attaquée à coups de pierre et de gaz lacrymogène. L’opposition a été portée à son paroxysme lors d’un rassemblement, le 22 août, de près de 3000 manifestants au cœur de Moscou sur fond de concert de la star du rock russe Iouri Chevtchuk. L’opposition des écologistes russes a eu un fort écho à l’étranger. Elle a été soutenue par de nombreux mouvements internationaux, notamment WWF et Greenpeace, et des personnalités en vue, notamment le chanteur du groupe U2, Bono.
Les partisans du projet actuel d’autoroute opposent aux plans alternatifs soutenus par les écologistes le coût des travaux. Ainsi, alors qu’il existe au moins deux plans alternatifs de tracé d’autoroute limitant son impact écologique, le projet retenu limiterait les frais d’acquisition des terrains et de relogement des habitants expulsés. Le coût de l’autoroute, dont la réalisation a été confiée à Vinci, est aujourd’hui estimé à près de 8 milliards de dollars. Un des plans alternatifs aurait pourtant un coût également avantageux. Il suivrait le tracé de la ligne de chemin de fer, environnée principalement de garages en tôle et de terrains agricoles. L’impact écologique du projet actuel pourrait également être limité en diminuant la largeur du tracé de bord de route, actuellement de 130 mètres, comparé à, par exemple, 3 mètres au Canada pour des routes traversant la forêt.
Après le rassemblement du 22 août, les opposants ont été agréablement surpris par un message Internet du président Medvedev, ordonnant la suspension de la construction de l’autoroute et demandant un examen complémentaire du projet. Le premier ministre Poutine, alors dans des déplacements en Sibérie et Asie Centrale aux airs de précampagne présidentielle, a qualifié cette initiative de normale et juste. Il a cependant insinué que les opposants au projet seraient corrompus par les promoteurs des projets alternatifs.
La décision du président Medvedev a été accueillie avec reconnaissance par l’opinion publique, qui y a vu le témoignage d’une prise de conscience écologique après les incendies meurtriers des mois d’été. Les analystes politiques ont cependant soupçonné une manœuvre opportuniste destinée à s’assurer des soutiens en vue des élections présidentielles de 2012, découvrant avec stupeur chez Medvedev une identité politique qui pourrait se révéler indépendante de l’autorité de Poutine.
L’administration du président a cependant été saisie de nouveau dès le 9 septembre par les écologistes qui dénoncent une mise en scène dans l’examen complémentaire du projet d’autoroute, les nouveaux votes ayant lieu sous la menace et une pétition de 10 000 voix en faveur du projet actuel ayant été obtenue par corruption des signataires.
La bataille de Moscou
Suivant la décision présidentielle de suspension de la construction de l’autoroute, le maire de la ville de Moscou, Iouri Louchkov, s’est retrouvé en ligne de mire du gouvernement pour avoir dénoncé à mots couverts la décision présidentielle dans un article publié dans un journal moscovite. L’ensemble des chaînes de télévision publiques ont diffusé des émissions et reportages sur Louchkov, l’accusant de corruption au profit de l’empire immobilier de sa femme, Elena Baturina, la femme la plus riche de Russie. Le script de l’un de ces reportages aurait été rédigé dans le délai record d’une journée et tourné dès le lendemain. Les activités de Louchkov sont connues depuis ses nombreuses années à la tête de la capitale russe mais le maire paraissait jusqu’alors intouchable.
Le parti au pouvoir, Russie Unie, a également déclaré vouloir se pencher sur la situation de Louchkov. Le maire étant l’un des pères fondateurs du parti au pouvoir, un proche de Poutine et la pierre angulaire de tout le système de corruption à Moscou, il est peu probable qu’il soit destitué de ses fonctions avant le terme de son mandat en 2011. Il est cependant possible que la campagne quasi-officielle menée contre lui soit le signe de la volonté du gouvernement de sortir du conflit à propos de l’autoroute Moscou-Saint-Petersburg. Et au-delà du sort de la forêt de Khimki, le premier indice d’une lutte entre Medvedev et Poutine dans la perspective des élections présidentielles de 2012.