Le bilan de la guerre qui a opposé la Géorgie à la Russie du 8 au 12 août 2008 est sans appel pour Tbilissi. Alors que le gouvernement géorgien contrôlait encore quelques enclaves en Abkhazie et en Ossétie du Sud avant la guerre, il les a définitivement perdues au cours des hostilités, accroissant par là même le nombre de réfugiés qui sont venus s’entasser dans des conditions pathétiques à la périphérie des grandes villes géorgiennes. L’hostilité entre Géorgiens, Ossètes et Abkhazes est durablement exacerbée. Le retour des deux provinces sécessionnistes dans le giron géorgien semble désormais impossible, du moins tant que la Russie y maintiendra des garnisons et continuera de reconnaître les autorités en place à Soukhoumi (Abkhazie) et Tskhinvali (Ossétie du Sud).
La Russie a pu de son côté afficher son grand retour sur la scène internationale et affirmer sa présence durable le long du littoral abkhaze où certains experts prédisent l’existence de réserves de pétrole et de gaz naturel offshore non encore explorées. Elle peut ainsi sécuriser la région de Sotchi (située en bordure de l’Abkhazie) où se dérouleront les Jeux Olympiques d’Hiver de 2014 et entamer les travaux de construction d’une grande base navale près de Soukhoumi qui lui permettra de redéployer en Abkhazie une partie de la flotte russe de la Mer Noire, notamment dans le cas où celle-ci ne parviendrait pas à se maintenir à Sébastopol, en cas d’aggravation des tensions entre la Russie et l’Ukraine.
Sur le plan politique, la réputation du pouvoir géorgien a été sérieusement entamée, tout particulièrement aux yeux de l’opinion publique européenne. Nombreux sont ceux qui se sont félicités que la Géorgie ne soit pas encore membre de l’OTAN, car dans ce cas, les Etats-Unis et l’Europe se seraient retrouvés en état de guerre avec la Russie.
Les trois seuls objectifs politiques que le président géorgien ait en fait atteints à travers cette guerre, sont d’avoir porté la question des conflits gelés caucasiens sur le devant de la scène internationale, d’être parvenu à impliquer l’Union européenne sur le terrain et d’avoir suscité un regain de méfiance et d’acrimonie entre l’OTAN et la Russie.
Nouveau rapport de forces
Quelques semaines seulement après la fin de la guerre russo-géorgienne, deux événements ont modifié les rapports de forces au Sud-Caucase : l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis d’Amérique, et la mondialisation de la crise financière. Dès son arrivée aux affaires, le président Obama tend la main à Moscou et se dit prêt à promouvoir une relation apaisée et pragmatique avec la Russie pour pouvoir se concentrer sur les théâtres qu’il juge cruciaux et le Sud-Caucase n’en fait pas partie. Conscients de cette nouvelle donne, les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN renoncent à octroyer à la Géorgie le statut de candidat officiel à l’adhésion.
Le Kremlin saisit la main tendue et renoue avec les Etats-Unis. Moscou n’a cependant guère le temps de profiter de ce climat favorable pour accroître son influence au Sud-Caucase, car la crise financière mondiale qui frappe durement la Russie, alliée à la baisse des prix du gaz et du pétrole, réduit sensiblement sa force de frappe économique et l’oblige à disperser ses efforts sur la scène intérieure. Le gouvernement russe n’en continue pas moins de stigmatiser la présence occidentale en Géorgie, s’engageant le 30 avril 2009 à assurer la défense des « frontières » de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, dénonçant au passage les exercices que l’OTAN continue d’organiser sur place dans le cadre du Partenariat pour la Paix.
En fait, tout indique qu’Occidentaux et Russes ont tracé de nouvelles « lignes rouges » en Géorgie, revenant par là même à la logique défensive qui prévalait entre les présidents Bill Clinton et Boris Eltsine. Celles-ci peuvent se résumer de la manière suivante : les Russes s’engagent à ne pas franchir les « frontières » de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud et à ne pas menacer l’existence de la Géorgie en tant qu’Etat indépendant, tandis que les Occidentaux s’engagent à ne pas déployer de bases militaires permanentes sur place, et à faire pression sur le gouvernement géorgien pour qu’il renonce à recourir à la force contre l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
Des deux côtés, chacun semble prêt à respecter le statu quo qui se décline également dans le domaine énergétique. La Géorgie reste en effet un lieu de transit stratégique pour l’évacuation du pétrole et du gaz extrait de la région de la Caspienne. Le pays est traversé par les oléoducs Bakou-Soupsa et Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et par le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum (BTE). Ce dernier devrait être prolongé vers l’Europe centrale via le projet de gazoduc Nabucco reliant la Turquie à l’Autriche. A moyen terme, ce réseau devrait permettre à l’Europe d’assurer le tiers de ses approvisionnements en gaz et en pétrole. Les Européens ont donc tout intérêt à garantir la stabilité du Sud-Caucase et s’assurer de la sécurité de ces deux conduits vitaux.
Paradoxalement, c’est désormais la Turquie, plus encore que les Etats-Unis, qui a intérêt à maintenir ouvert le BTC et le BTE, car elle cherche à s’imposer comme la plaque tournante de l’approvisionnement énergétique de l’Europe, là où Washington peut toujours miser sur d’autres routes énergétiques.