"La Russie a dénoncé le partenariat avec l’Europe"

Le 1er septembre 1939, un navire allemand tirait sur la garnison polonaise de la presqu’île de la Westerplatte, près de Danzig (Gdansk en polonais) les premiers coups de feu de la Deuxième guerre mondiale. Pour le 75ème anniversaire, le président de la République fédérale d’Allemagne, Joachim Gauck, a prononcé, en présence de son collègue polonais Bronislaw Komorowski, un discours sur la Westerplatte appelant les Européens à résister à l’agression. "La Russie a dénoncé le partenariat avec l’Europe", a-t-il déclaré faisant allusion à l’intervention russe en Ukraine. Joachim Gauck s’est prononcé pour une solution négociée.
Intervenant au Parlement européen, la ministre italienne des affaires étrangères italienne, Federica Mogherini, future Haute représentante pour la politique extérieure et de sécurité commune, a exprimé, le mardi 2 septembre, son accord avec les déclarations fermes de Joachim Gauck.
Nous publions la deuxième partie du discours du président allemand. La traduction, le titre et les intertitres sont de la rédaction.

Illustration du livre Guerre et Paix, de Léon Tolstoi, paru en 1901
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Lorsque, il y a cinq ans, ici sur la Westerplatte, vingt chefs d’Etat et de gouvernement européens se réunissaient et ensemble commémoraient l’horreur de la Deuxième guerre mondiale, nous nous imaginions sur le chemin d’un continent de liberté et de paix. Nous croyions et voulions croire que la Russie aussi, le pays de Tolstoï et de Dostoïevski, pouvait faire partie de cette Europe commune. Nous croyions et nous voulions croire que les réformes politiques et économiques rapprocheraient notre voisin de l’Est de l’Union européenne et que l’adoption de valeurs universelles se fondrait dans des institutions communes.
Personne, bien sûr, ne soupçonnait alors combien était mince la glace politique sur laquelle nous nous mouvions. Qu’elle était trompeuse, la croyance que le maintien de la stabilité et de la paix l’avait définitivement emporté sur les ambitions de puissance. C’est pourquoi ça a été un choc quand nous avons été confrontés avec le fait qu’aux marches de l’Europe un conflit militaire avait de nouveau lieu. Un conflit pour de nouvelles frontières et pour un nouvel ordre. Oui, c’est un fait : la stabilité et la paix sur notre continent sont de nouveau en danger.

Des tentatives d’intégration

Après la chute du Mur, l’Union européenne, l’OTAN et le groupe des nations les plus industrialisées du monde ont chacun pour sa part développé des relations particulières avec la Russie et intégré ce pays de diverses manières. La Russie a de facto dénoncé ce partenariat. Pour l’avenir, nous souhaitons toujours ce partenariat et des relations de bon voisinage. Mais la condition doit être un changement de la politique russe et un retour au respect des principes du droit
international.
Parce que nous tenons au droit, parce que nous voulons le renforcer et ne pas tolérer qu’il soit remplacé par le droit du plus fort, nous nous élevons contre ceux qui violent le droit international, annexent des territoires étrangers et soutiennent militairement la division de pays étrangers. Et c’est pourquoi nous nous engageons pour ces valeurs auxquelles nous devons notre vivre ensemble, libre et pacifique. Nous adapterons la politique, l’économie et notre disponibilité à nous défendre aux nouvelles conditions. L’Union européenne et les Etats-Unis ne se laisseront pas diviser sur ces questions fondamentales, ni aujourd’hui, ni demain.

L’appétit croissant des agresseurs

L’Histoire nous apprend que les concessions territoriales ne font qu’accroître l’appétit des agresseurs. Mais l’Histoire nous apprend aussi qu’une escalade incontrôlée peut créer une dynamique qui peut à un moment échapper à tout contrôle. C’est pourquoi l’Allemagne – comme l’ensemble de l’Union européenne —, veulent mener une politique étrangère et de sécurité qui allie la fermeté sur les principes avec la capacité de passer des compromis, la résolution et la souplesse, et soit en mesure d’arrêter une agression sans fermer la porte à des issues politiques.
L’Europe fait face à de grands défis. Ce à quoi nous assistons actuellement est l’érosion de l’ordre ancien et l’apparition de nouvelles formes de violence à notre périphérie. Cela vaut pour le Proche-Orient et l’Afrique du nord. Le printemps arabe n’a apporté la démocratie et la stabilité qu’à de rares endroits. Dans beaucoup d’autres les désordres et les conflits de pouvoir se poursuivent. Des groupes islamistes ont gagné en influence, particulièrement les fondamentalistes violents qui se sont installés en Syrie et en Irak.
Contrairement à d’autres rebellions ces groupes ne recherchent pas un changement de pouvoir dans le cadre des Etats. Ils sont plus radicaux et visent la création d’un califat terroriste dans l’espace arabe. Des hommes et des femmes fanatisés et brutaux venus de divers pays dévoient la religion et la morale pour poursuivre et éventuellement tuer tous ceux qui leur résistent – les musulmans comme les autres. Ils considèrent nos villes et nos Etats comme des lieux de perdition. Ils combattent la société et la démocratie nées des Lumières et nient l’universalité des droits de l’homme.

L’intérêt existentiel de l’Europe

Il en va de l’intérêt existentiel de la toute la communauté internationale, et donc de l’Europe, d’endiguer et de combattre ce terrorisme. D’abord à cause de la proximité géographique. Les réfugiés venus du Moyen-Orient nous arrivent en Europe et les terroristes font de nouvelles recrues dans nos Etats. Ensuite, parce que le conflit peut toucher les pays européens. On ne peut pas exclure que des Etats européens deviennent aussi la cible d’attentats islamistes.
Quand nous commérons ensemble, ici sur la Westerplatte, cet anniversaire, nous ne nous confrontons pas seulement à ce que des hommes ont été capables de faire pendant la Deuxième guerre mondiale. Nous affrontons aussi, en toute conscience, ce que les hommes sont capables de faire aujourd’hui.
Oui, le souvenir nous rassemble. Mais de la même façon nous sommes rassemblés par les menaces actuelles. Personne ne doit en douter : Allemands et Polonais se tiennent côte à côte et agissent de concert. Ensemble nous assumons une responsabilité qui nous est imposée par les conflits dans notre voisinage. Nous agissons en conséquence et nous nous engageons pour des solutions négociées.
L’Union européenne, aussi, doit se rassembler face aux nouveaux défis. C’est seulement ensemble que nous pouvons construire une Europe démocratique et pacifique. Et c’est seulement ensemble que nous pouvons la défendre.