Plusieurs lectures peuvent être faites des résultats des élections législatives en Ukraine. Le premier enseignement est un vote massif en faveur des partis favorables au rapprochement avec l’Union européenne. Environ 70% des électeurs se sont prononcés dans ce sens. Malgré la participation relativement faible (52%), c’est une réalité politique dont Moscou ne pourra pas ne pas tenir compte.
A contrario, les partis dits « prorusses » ont subi un échec (quelque 10% des voix), même si parmi les députés élus au scrutin uninominal à un tour se retrouvent plusieurs anciens membres du Parti des régions de l’ancien président Viktor Ianoukovitch. Ils seront environ soixante-dix, sur quatre cent cinquante. Mais on est loin d’un pays coupé en deux entre une partie occidentale tournée vers l’Europe et une partie orientale attirée par la Russie, comme aux précédents scrutins. Une des raisons de cet échec tient à l’impossibilité de voter pour une partie de la population de l’est de l’Ukraine – et de la Crimée.
Arseni Iatseniouk, la surprise
La deuxième leçon est que le pouvoir du président Porochenko, élu au premier tour de l’élection présidentielle de mai, est certes confirmé mais son autorité est entamée par le bon score de son Premier ministre, chef de file d’un parti concurrent, Arseni Iatseniouk. Celui-ci avait pris une position plus dure que le président par rapport à Moscou au cours de la campagne électorale.
Toutefois, cette compétition ne les empêchera sans doute pas de coopérer au sein de la prochaine alliance gouvernementale qui devra aussi comprendre d’autres partis : « Samopomotchi » (aide-toi toi-même), la formation du maire de Lviv, la grande ville de l’ouest de l’Ukraine, qui a créé la surprise en obtenant 10% des voix et même la première place dans la capitale Kiev. Le parti de l’ancienne chef du gouvernement, Ioulia Timochenko, qui a subi une défaite pourrait aussi être une force d’appoint.
Ne pas répéter les erreurs de la « révolution orange »
Petro Porochenko et Aseni Iatseniouk devraient éviter de répéter la rivalité entre le président Viktor Iouchtchenko et le premier ministre Ioulia Timochenko au lendemain de la « révolution orange ». Cette rivalité a conduit au blocage des réformes et au retour quelques années plus tard des apparatchiks postsoviétiques autour de Viktor Ianoukovitch. Le renouvellement d’une grande partie des députés dans la Rada qui vient d’être élue et la présence de plusieurs militants des manifestations de Maïdan, sans passé politique, peuvent être des gages de succès.
Car les défis auxquels les nouveaux dirigeants ukrainiens sont confrontés sont immenses. Sauf à décevoir une population qui nourrit encore quelques espoirs et semble prête à de nouveaux sacrifices, ils doivent engager des réformes profondes, de l’économie, des institutions, du système judiciaire… Ils doivent moraliser les méthodes de gouvernance alors que les oligarques ukrainiens restent de vrais potentats locaux.
En un mot, ils doivent rattraper les vingt ans qui ont été perdus depuis l’indépendance en 1991 et la fin du système communiste. Et ils le doivent alors qu’une partie de leur pays a été annexée par la Russie (la Crimée) et qu’une autre partie est occupée par des séparatistes soutenus par Moscou. C’est un exercice délicat. La lutte contre les séparatistes ne doit pas devenir un prétexte à ajourner les réformes. En même temps, le président et le gouvernement ne peuvent pas la négliger sans prendre le risque de donner des arguments aux extrémistes nationalistes.
L’échec des extrémistes
Avec les législatives du 26 octobre, Moscou a au moins subi un échec. Depuis le début des manifestations de Maïdan, il y a près d’un an, la propagande russe a dénoncé l’influence des « fascistes » et des « néonazis » sur le mouvement et même leur présence dans le gouvernement de Kiev baptisé « junte fasciste ». Les électeurs ukrainiens ont ramené les partis extrémistes à leur juste place. Considérés tous ensemble, ils ne dépassent pas 10% des voix.
Le ministère russe des affaires étrangères a salué la victoire aux élections « des partisans de la paix ». Mais ce satisfecit ne doit pas tromper. Vladimir Poutine n’a pas renoncé à exercer une influence sur la politique ukrainienne en utilisant les territoires indépendantistes du Donbass comme un abcès de fixation. Les habitants de Donetsk et de Louhansk, les deux villes occupées par les séparatistes, n’ont pas pu voter aux législatives ukrainiennes. Ils sont appelés à élire un président et des députés le 9 novembre. La Russie reconnaîtra-t-elle ce scrutin ou gardera-t-elle cette carte pour peser sur Kiev ?