Les électeurs slovaques viennent de donner un coup de frein au courant populiste qui domine la Slovaquie depuis une quinzaine d’années comme il affecte la plupart des autres pays d’Europe centrale et, en particulier, les quatre du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie). La victoire de l’avocate libérale Zuzana Caputovà au second tour de l’élection présidentielle, samedi 30 mars, sur le commissaire européen Maros Sefcovic, candidat du parti au pouvoir, avec 58,3% des suffrages, est un échec pour l’homme fort du pays, le populiste Robert Fico, qui soutenait le candidat défait.
Ce qui distingue Robert Fico de ses homologues d’Europe centrale est qu’il incarne un populisme de gauche, sa formation, le SMER-SD, se réclamant de la social-démocratie. Porté pour la première fois à la tête du gouvernement en 2006, il a dirigé le pays jusqu’en 2018, le plus souvent en coalition avec l’extrême-droite, avant de céder la place à un de ses proches, Peter Pellegrini. Ce n’est pas la première fois que le parti populiste essuie une défaite : en 2010 il a perdu les élections législatives, laissant la présidence du gouvernement à la libérale Iveta Radicova ; en 2014, Robert Fico a été battu à l’élection présidentielle par l’indépendant Andrej Kiska.
Le refus de l’immigration, le rejet de l’islam
Ce nouveau revers est le signe de la résistance qu’oppose une grande partie de la population aux idées « illibérales » développées notamment par Viktor Orban au nom des valeurs du christianisme européen. La campagne a porté en effet sur des thèmes habituels au premier ministre hongrois : le refus de l’immigration, le rejet de l’islam, la défense des traditions chrétiennes. En 2015, Robert Fico avait affirmé qu’en matière d’immigration il n’entendait pas « se prosterner » devant l’Allemagne ou la France. « L’islam, disait-il, n’a pas vocation à s’implanter en Europe, il ne peut s’y intégrer ». Ces proclamations lui avaient valu d’être désigné comme un « Orban de gauche ».
Maros Sefcovic a repris la rhétorique de son mentor. Il a dénoncé « l’agenda ultra-libéral » de sa concurrente victorieuse, Zuzana Caputovà, qu’il a jugé contraire aux valeurs chrétiennes traditionnelles, dans le domaine de l’immigration comme dans celui des droits des femmes ou des couples homosexuels. Quoi que vice-président de la Commission européenne, il a aussi exprimé des réserves à l’égard de l’Union européenne, en disant son opposition à un « super-Etat » européen et en déclarant que la politique fiscale, la politique familiale et, bien sûr, la politique migratoire doivent rester de la compétence des Etats. Critique d’Angela Merkel, il a affirmé : « C’est aux Slovaques de décider qui vient dans notre pays ».
L’assassinat d’un journaliste d’investigation
Face à cet anti-libéral fermement conservateur, Zuzana Caputovà, militante écologiste (elle s’est fait connaître en 2013 par son combat contre l’implantation d’une décharge) et fervente adversaire de la corruption, incarne une autre voie. Elle a surtout bénéficié de la vague d’émotion populaire suscitée par l’assassinat en 2018 d’un journaliste d’investigation, Jan Kuciak, et de sa compagne, Martina Kusnirova, qui avaient mis au jour des liens entre des proches de Robert Fico et des hommes d’affaires liés à la mafia calabraise, révélant ainsi la corruption au sommet de l’Etat. Plusieurs personnes ont été interpellées pour ce crime et Robert Fico a dû quitter la tête du gouvernement, tout en s’assurant que la coalition sortante serait reconduite sous la direction de son successeur.
Le succès de Zuzana Caputovà est une bonne nouvelle pour les défenseurs de la démocratie. Il est vrai que les compétences du président slovaque sont relativement limitées et que le pouvoir politique appartient, pour l’essentiel, au chef du gouvernement. Toutefois le président de la République joue un certain rôle dans la nomination des magistrats, ce qui n’est pas sans importance pour favoriser la lutte contre la corruption. Sur le plan symbolique surtout, cette élection marque une rupture notable avec la montée générale des populismes. « Mon résultat prouve que la Slovaquie n’est pas aussi conservatrice que certains le pensaient », a déclaré la nouvelle présidente en appelant à la réconciliation. Elle a ajouté : « Cherchons ce qui nous unit, plaçons la coopération au-dessus des intérêts personnels ».