Au terme d’une campagne incertaine, marquée par des sondages longtemps défavorables et un climat de mécontentement à l’égard des autorités en place, la présidente brésilienne Dilma Rousseff, candidate du Parti des travailleurs, a été reconduite pour un deuxième mandat, le 26 octobre, en recueillant au second tour 51,64% des suffrages contre 48,36% à son adversaire, le sénateur Aécio Neves, ancien gouverneur de l’Etat du Minas Gerais et président du Parti de la social-démocratie brésilienne, une formation de centre droit.
L’héritage de "Lula"
Mme Rousseff l’emporte de peu, avec une marge plus faible qu’en 2010. On peut juger sa victoire étriquée, mais son avance est tout de même de près de 3 millions et demi de votants et surtout elle permet au Parti des travailleurs de conserver la présidence du pays, à laquelle il a accédé en 2002 quand « Lula » a succédé au social-démocrate Fernando Henrique Cardoso. Sans posséder le charisme de « Lula » ni bénéficier des mêmes taux de croissance économique, Mme Rousseff a réussi à maintenir vivant son héritage et à conserver le pouvoir à la gauche.
La présidente brésilienne n’est pas la seule à tenir haut le drapeau des socialistes face aux conservateurs. Au cours du même mois d’octobre, dans deux Etats voisins, la gauche a marqué des points. En Bolivie, le 12 octobre, le président sortant, Evo Morales, chef de file du Mouvement vers le socialisme, ancien syndicaliste paysan fier de son ascendance amérindienne, a été élu pour la troisième fois à la tête de l’Etat, dès le premier tour, avec 61% des voix.
Politiques sociales
En Uruguay, le 26 octobre, l’ancien président Tabaré Vazquez, porté par une coalition des partis de gauche, est arrivé en tête à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, avec 47,8% des suffrages, ce qui lui donne de bonnes chances de succéder à l’ancien guérillero José Mujica, surnommé Pepe Mujica et connu notamment pour la modestie de son mode de vie, loin des fastes des palais officiels. Dans ces trois pays, la gauche au pouvoir, servie par la bonne situation de l’économie, a su mener des politiques sociales qui ont entretenu sa popularité en faisant sortir de la pauvreté une partie importante de la population.
Le Brésil, la Bolivie, l’Uruguay, que rapprochent les hasards du calendrier, ne sont pas des cas isolés en Amérique du Sud. Avant eux, ces dernières années, d’autres pays ont suivi le même chemin.
Au Salvador, le 9 mars 2014, l’ancien guérillero Salvador Sanchez Céren a gagné de justesse l’élection présidentielle par 50,1% des voix, succédant à Maurico Funes, ancien membre, comme lui, du Front Farabundo Marti de libération nationale. Au Chili, le 15 décembre 2013, Michelle Bachelet est redevenue présidente de la République, avec 62,16% des voix, après un premier mandat de 2006 à 2010.
Au Venezuela, le 14 avril 2013, l’ancien syndicaliste Nicolas Maduro, ministre des affaires étrangères de 2006 à 2012, a été élu président de la République, avec 50,62% des voix, profitant de la popularité d’Hugo Chavez, le chantre de la Révolution bolivarienne, mort un mois plus tôt.
En Equateur, le 17 février 2013, Rafael Correa, chef de file d’un regroupement de partis de gauche, a été élu pour un troisième mandat, dès le premier tour, avec 57,17% des voix.
Le rejet du néolibéralisme
On pourrait multiplier les exemples : dans de nombreux Etats d’Amérique du Sud, la gauche, dans sa version modérée comme dans sa version populiste, a su repousser les assauts de la droite, tantôt de justesse, tantôt avec une large avance, en défendant un modèle social qui rejette le néolibéralisme et s’adresse en priorité aux plus pauvres.
Au-delà de leurs particularismes, la plupart des pays d’Amérique latine ont en commun d’avoir été gouvernés au XXème siècle par des dictatures militaires étroitement soumises aux Etats-Unis. Les mouvements de libération qui ont mis fin à ces régimes ont acquis une forte popularité dont profite aujourd’hui la gauche. A cela s’ajoute un sentiment anti-américain qui reste vif, notamment au Brésil, et qui jette la suspicion sur les partis conservateurs, jugés trop proches de Washington. Cet héritage historique peut expliquer en partie pourquoi la droite n’a jamais été vraiment capable d’incarner une alternative crédible et de s’installer durablement au pouvoir.