Après la Chambre des députés, le Sénat a décidé de mettre en accusation la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, pour « crime de responsabilité ». Celle-ci est, dans un premier temps, écartée de ses fonctions pour une durée de six mois. Dans un deuxième temps, si elle est reconnue coupable, elle sera destituée. Son vice-président, Michel Temer, a d’ores et déjà pris sa place, en attendant le jugement définitif des sénateurs. Comme il est peu probable que ceux-ci reviennent, au terme de l’enquête, sur leur première décision, le pouvoir va donc changer de mains, au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2018. Au Brésil comme dans d’autres pays d’Amérique latine, la droite relève la tête alors que la gauche, usée et parfois discréditée par plusieurs années de gouvernement, est renvoyée dans l’opposition.
Treize ans après l’arrivée de Lula à la présidence le 1er janvier 2003, dans une atmosphère de liesse populaire, la parenthèse prend fin. Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula en 2011 avant d’entamer un second mandat en 2015, est contrainte de se retirer sous la pression d’une opposition déterminée, qu’elle accuse de violer la démocratie mais qui, par une majorité de 55 sénateurs contre 22, a choisi de la suspendre de ses fonctions puis de la juger pour avoir maquillé les comptes publics avant sa réélection. La présidente a annoncé qu’elle se battrait jusqu’au bout contre ses adversaires. « Ce qui est en jeu, a-t-elle déclaré après le vote du Sénat, ce n’est pas seulement mon mandat, c’est le respect des urnes, de la souveraineté du peuple brésilien et de la Constitution ». Elle ne fera rien pour faciliter la tache de son vice-président, dont elle conteste la légitimité.
Le rôle-clé d’Henrique Meirelles
Michel Temer, chef de file du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), formation centriste qui était l’alliée du Parti des travailleurs (PT) de Lula et de Dilma Rousseff avant de quitter, il y a quelques semaines, la coalition au pouvoir, ne cache pas sa volonté de rompre avec la politique social-démocrate menée par ses prédécesseurs pour s’engager dans une politique marquée par le libéralisme sur le plan économique et par le conservatisme sur le plan sociétal. Symboliquement, alors que Dilma Rousseff avait été la première femme à accéder à la présidence, le gouvernement présenté par Michel Temer, ne comprend aucune femme. Il ne comporte également aucun Noir. Plusieurs ministres sont sous le coup d’enquêtes judiciaires pour corruption. L’ancien président de la Banque centrale, Henrique Meirelles, occupera le poste-clé de ministre des finances. Son profil est, selon The Wall Street Journal, celui d’une personnalité proche des marchés et pleinement acquise à l’économie libérale.
Le nouveau gouvernement devra s’attaquer en particulier aux lourdeurs de l’Etat-providence, que Lula puis Dilma Rousseff ont mis pendant treize ans au service d’une politique sociale ambitieuse et généreuse. Michel Temer, qui hérite d’une situation économique désastreuse, avec une récession dramatique (3,8%) et un taux de chômage inquiétant (10,2%), s’est donné pour priorité le redressement du pays. Celui-ci passera par une réduction des dépenses publiques, au risque de détruire certains des acquis des présidences précédentes, comme la Bolsa Familia (Bourse famille), emblématique de l’ère Lula, mais aussi par une réforme des retraites, un assouplissement du code du travail et une politique de privatisations. La lutte contre la corruption sera aussi, en principe, à l’agenda de la nouvelle équipe, même si sa crédibilité est faible en la matière.
A l’approche de l’élection présidentielle de 2018
Le successeur de Dilma Rousseff se pose comme un réconciliateur du pays après les mois de durs affrontements entre partisans et adversaires de la présidente suspendue. Dès sa nomination, il a lancé un appel à « la pacification » et à « l’unification » du Brésil. Il s’est dit résolu à panser les plaies d’une nation divisée. Mais il lui faudra beaucoup d’habileté et de savoir-faire pour permettre au pays de surmonter la triple crise – économique, politique et morale – qu’il traverse. Impopulaire, soupçonné par la justice d’irrégularités dans le financement de sa campagne, le président doit faire la preuve qu’il n’est pas seulement le porte-voix des milieux d’affaires mais qu’il a pour principal souci le salut national. Sa tache s’annonce d’autant plus difficile que le climat demeure très tendu et que les amis de Dilma Rousseff, à son appel, entendent rester « mobilisés » face au nouveau pouvoir.
Le combat entre la droite et la gauche va s’accentuer à l’approche de l’élection présidentielle de 2018, à laquelle Lula pourrait être candidat, si la justice ne l’en empêche pas. Alors que Michel Temer se prépare à engager des mesures d’austérité, l’ancien président rappelle avec fierté le bilan de la gauche. « Notre principale réussite est d’avoir sorti de la pauvreté 36 millions de personnes et fait entrer dans la classe moyenne 40 millions d’autres », a-t-il réaffirmé il y a quelques jours. Nous sommes un parti qui se soucie des pauvres et de la justice sociale ». Comme beaucoup de partis sociaux-démocrates dans le monde, le Parti des travailleurs est partagé entre la fidélité aux vieilles traditions du socialisme classique et le besoin de modernisation face aux exigences de la mondialisation. Il lui faut apprendre à se renouveler pour se donner les moyens d’échapper à ses erreurs passées.