Il ne faut pas attendre des miracles. La présidence du conseil de l’UE, que l’Allemagne assume depuis le 1er juillet jusqu’à la fin de l‘année, n’attribue pas des pouvoirs particuliers à la nation en charge. Tous ceux qui discutent des attentes énormes qui pèseraient sur la présidence allemande en cette période de crise risquent de se tromper de cible. La présidence sert à organiser le travail et à modérer les débats au sein des instances du conseil. Elle sert à faciliter les prises de décision, à proposer des compromis. Mais elle ne donne pas de mandat pour résoudre les problèmes. Cette responsabilité reste partagée dans un système volontairement complexe : la Commission a la charge et le monopole de présenter des propositions formelles là où l’Union dispose des compétences propres ; le Parlement européen a la compétence, avec le Conseil, de légiférer en ces matières ; avant tout, ce sont les Etats membres, réunis en Conseil, qui doivent prendre position. La présidence n’organise donc qu’une partie des travaux nécessaires pour arriver à des décisions. N’attendons pas de la présidence ce qu’elle n’est pas appelée à réussir seule.
Au-delà des critères de Maastricht
Ceci étant dit, il est intéressant de constater comment les Allemands envisagent leur responsabilité particulière d’animer les débats au sein du Conseil et d’organiser son travail législatif pour faire avancer l’Union européenne. Dans son discours devant le Parlement européen le 8 juillet à Bruxelles, la chancelière Angela Merkel confirme : „En ce temps de crise dont l’Union européenne veut sortir renforcée elle a besoin du Parlement européen.“ Et plus tard, elle insiste sur „la protection des droits fondamentaux (des Européens, ndlr) qui est assurée par des institutions fortes de l’Union européenne : la Commission européenne, la Cour de Justice européenne et le Parlement européen.“ Bref – pour bien faire son travail, elle mise sur les institutions communautaires de l’UE ; sans celles-ci, pas de socle solide pour sa capacité d’agir.
C’est remarquable dans la mesure où la chancelière se prononce clairement pour le caractère supranational de l’Union et met en avant ses „fondements éthiques et politiques“, plutôt que des arguments économiques. Parmi les 5 thèmes qu’elle considère comme étant les plus importants, il y a les „droits fondamentaux“, la „cohésion“, le climat, le numérique et la responsabilité de l’Europe dans le monde. Ce sont des domaines dont les compétences ne sont, actuellement, attribuées que partiellement à l’Union. C’est aussi dans ce contexte global qu’elle place l’initiative franco-allemande du 18 mai proposant, entre autres, des emprunts communautaires en faveur d‘un „fonds de relance“ dans le cadre du sytème budgétaire de l’Union, repris par la Commission dans ses propositions formelles pour sortir de la crise économique la plus grave de l’histoire de l’UE.
C’est une vue plus large que celle qui ne regardait que les fameux „critères de Maastricht“ et la discipline requise pour les respecter, une vue plus large qui rejoint, un peu, les idées exprimées à Paris visant à réorganiser, voir à „refonder“ l’Union européenne, sans aller aussi loin. Mais c’est une vue bien au-delà de la tâche de la présidence actuelle, que la chancelière présente, une vision presque, même si Mme Merkel n’aime pas les visions, pour une Union de l’avenir, mais sur la base des institutions fortes de l’Union.
L’appel de Wolfgang Schäuble
Plus encore, en même temps, le président du Bundestag, l’ancien ministre des finances Wolfgang Schäuble, appelle, dans une tribune d’une page entière dans le „Frankfurter Allgemeine Zeitung“, au courage de faire des „pas substantiels“ vers une intégration plus approfondie. Il appelle au courage „qui nous a fait défaut en 2010“ pour renforcer l’intégration de la zone Euro ; au courage de débattre, au niveau européen, du bon usage des moyens immenses du „fonds de relance“ pour des projets communautaires dans les Etats membres (et de ne pas simplement verser de l’argent aux gouvernements) . Aussi, il reprend une idée qu’il avait déjà proposée en 1994 et que le président Macron a reprise, en principe, au mois de février à l’occasion de la conférence de sécurité de Munich – celle de faire avancer l’Union européenne par une coopération renforcée entre ceux des Etats membres qui le souhaitent, ouverte à tous les autres. Macron, lui, parle de „cercles“ d’intégration variée. En fait, la réponse la plus complète au propos d’Emmanuel Macron de 2017 à la Sorbonne – on la trouve ici et maintenant.
Mieux vaut tard que jamais. Enfin, chargée d’assumer la présidence du conseil de l’UE en ce deuxième semestre 2020, toujours en crise sanitaire et face à une crise économique grave, l’Allemagne fait le saut. Consciente de la nécessité de combiner le lourd cahier des charges de la présidence (cadre financier pluriannuel, budget, relance, migration, Brexit) avec une réorientation profonde vers l’avenir de l’Union (climat, économie numérique, liberté et normes de sécurité de la communication internationale, règles du commerce international, souveraineté européenne dans le monde), elle laisse derrière elle l’hésitation des années passées et retrouve une ambition de progrès.
Va-t-elle maintenir ces efforts dans la durée ? Avec encore beaucoup de problèmes épineux devant nous, indépendamment de la pandémie ? Rien n’est sûr. La question des responsabilités et des compétences, d’une autre réforme des traités, reste posée : capacité de l’UE d’agir, légitimité démocratique de ses institutions, souverainetés européenne et nationale. En tout cas, le débat sur l’avenir et le caractère politique de l’Union européenne est accepté, finalement. Il faut y aller.