La gauche européenne a salué comme une avancée importante le récent sommet de Porto, les 7 et 8 mai, qui a donné l’occasion aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE d’affirmer leur engagement en faveur d’une Europe sociale, une Europe déterminée à lutter avec plus d’énergie et plus d’efficacité contre le chômage, la pauvreté, les inégalités. Organisée au Portugal, l’un des rares pays de l’Union européenne qui soient gouvernés aujourd’hui par les socialistes, la réunion devait montrer aussi que la social-démocratie, quoique boudée par les électeurs dans la plupart des Etats européens, a encore son mot à dire dans la construction d’une Europe fidèle aux valeurs de progrès et qu’elle est capable, autant voire mieux que la droite, de répondre aux aspirations des peuples.
A l’initiative des socialistes, qui occupent à la fois la présidence tournante du Conseil européen, exercée par le Portugais Antonio Costa, et le poste de commissaire à l’emploi et aux droits sociaux, confié au Luxembourgeois Nicolas Schmit, les Etats européens se sont fixé trois objectifs pour 2030 : un taux d’emploi d’au moins 78% chez les 20-64 ans ; au moins 60% des adultes en formation chaque année ; une diminution d’au moins 15 millions de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale. En se donnant des buts chiffrés, l’UE, qui a adopté en 2017 à Göteborg un « socle européen des droits sociaux », veut transformer, quatre ans plus tard, ces principes en actions.
Un nouveau contrat social
L’ancienne ministre portugaise Maria Joao Rodriguez, présidente de la Fondation européenne d’études progressistes, un centre de recherches lié au Parti socialiste européen, est allée jusqu’à parler d’un « moment historique » pour les droits sociaux européens. Elle a évoqué un « nouveau contrat social ». Le premier ministre portugais, Antonio Costa, est allé dans le même sens, « Nous allons transformer le modèle de gouvernance économique de l’Europe », a-t-il déclaré. « Il ne peut y avoir de refonte de notre modèle social sans repenser notre modèle économique », a complété le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, l’Italien Luca Visentini. La sortie de crise rouvre le débat sur l’Europe sociale.
La social-démocratie tirera-t-elle profit de cette possible réorientation des politiques européennes ? Rien n’est moins sûr. Pour le moment, les résultats électoraux dans les grands pays de l’Union ne traduisent pas une remontée de la gauche. En attendant les élections générales – dans quelques mois en Allemagne, dans un an en France, dans deux ans en Italie et en Espagne, dans trois ans au Royaume-Uni -, les élections régionales qui ont eu lieu en Europe ont plutôt confirmé le recul des socialistes, au bénéfice des écologistes dans plusieurs cas, des conservateurs dans d’autres. Les scrutins des 20 et 27 juin en France ne devraient pas entraîner, à en croire les sondages, un renversement des tendances. Pour les sociaux-démocrates, la reconquête, si elle doit avoir lieu, prendra du temps.
Seuls six pays de l’Union européenne, sur vingt-sept, sont actuellement dirigés par la gauche : les deux Etats de la péninsule ibérique (Espagne, Portugal) et l’île de Malte au Sud, les trois Etats nordiques (Danemark, Finlande, Suède) au Nord. Les prochaines élections y auront lieu en 2022 et 2023. Elles seront difficiles pour plusieurs de ces gouvernements, dont l’avenir semble incertain. Partout, ou presque, l’extrême-droite trouble le jeu, fragilisant les partis traditionnels. Dans les vingt-et-un pays qu’ils ne dirigent pas, les sociaux-démocrates participent quelquefois à des coalitions gouvernementales, comme en Allemagne, en Belgique ou en Italie, mais ils ne sont pas en mesure d’imposer leurs choix politiques.
La gestion de la mondialisation
Les socialistes ont souffert notamment d’être associés dans de nombreux pays à des politiques d’austérité, qui ont été perçues comme des remises en cause de l’Etat-providence, dans le sillage de la mondialisation et de ses effets pervers. C’est le cas du SPD allemand, auquel une partie de son électorat n’a pas pardonné d’être resté un fidèle soutien d’Angela Merkel, cheffe de file du camp conservateur. C’est aussi probablement le cas en France, où les socialistes, sous la présidence de François Hollande, se sont divisés, les « frondeurs » reprochant au chef de l’Etat et aux gouvernements qu’il a nommés d’abandonner les valeurs de la gauche au profit d’un « néolibéralisme » conquérant. Si les Etats nordiques ont réussi à se maintenir au pouvoir, c’est peut-être précisément, entre autres raisons, parce qu’ils n’ont jamais renoncé à promouvoir l’Etat-providence, pilier de l’identité social-démocrate.
Pour retrouver la faveur des opinions publiques et, en particulier, celle des classes populaires, les socialistes ont choisi de relancer leur réflexion sur le rôle de l’Etat et sur la sauvegarde de la protection sociale. La gestion de la crise sanitaire, puis la mise en place du plan de relance économique ont remis en valeur l’importance des politiques sociales pour l’avenir d’une Europe qui s’est trop longtemps imposé, au nom du respect des règles économiques, des contraintes excessives, sources d’injustices et de souffrances. Il ne s’agit pas pour la gauche de revenir au statu quo ante en cédant à la tentation du laxisme budgétaire, mais de réinventer un nouvel Etat-providence qui assure un meilleur équilibre entre la rigueur et la solidarité. La voie est étroite mais c’est sans doute celle du salut pour la social-démocratie.