Artiste de la politique mais affaibli par deux cohabitations durant ses septennats, François Mitterrand a fait de la diplomatie, comme ses prédécesseurs, son “domaine réservé”. Au-delà de la courte vague des réformes de 1981-82, c’est sans doute dans ce rôle de représentant de la France qu’il a laissé son empreinte la plus durable. Relations transatlantiques, politique africaine et surtout construction européenne : 30 ans après le 10 mai 1981, quel bilan peut-on dresser de l’action de Mitterrand ?
La crise des euromissiles
Le leader du PS arrive au pouvoir au début d’une décennie qui marque un tournant dans la guerre froide : le bloc communiste va perdre la bataille. Outre-Atlantique, sa victoire suscite pourtant de nombreuses inquiétudes dans l’Amérique reaganienne, ultralibérale et très anticommuniste, d’autant plus que des ministres du PCF font leur entrée au gouvernement. Mais Mitterrand reste fidèle à la ligne gaullienne face aux Etats-Unis : “ami, allié mais pas aligné”. En temps de crise des euromissiles, il apporte un soutien spectaculaire à son homologue américain, comme de Gaulle en 1962 sur les fusées de Cuba. Les deux hommes s’entendent bien, au point de remporter grâce à leur coopération la guerre du contre-espionnage contre les Soviétiques : c’est grâce à l’affaire Farewell que ceux-ci perdent leurs informations sur les technologies occidentales. Reagan peut alors lancer son projet de “Guerre des étoiles” pour essouffler définitivement son adversaire. En 1991, Mitterrand suit également les Américains dans la guerre du Golfe sous mandat de l’ONU pour repousser l’invasion irakienne du Koweit. Bush Sr proclame par la suite l’avènement d’un “nouvel ordre mondial” fondé sur le multilatéralisme, c’est-à-dire l’action conjointe de l’ONU et des Etats-Unis “gendarmes du monde”.
L’URSS est alors proche de l’implosion mais Mitterrand apporte aussi son soutien à Gorbatchev et sa volonté de sortir de la logique des blocs. Le numéro 1 soviétique parle de l’Europe comme d’une “maison commune”, en écho au projet mitterrandien de “confédération européenne”. C’est finalement un échec. Face à la chute du mur de Berlin et du communisme en Europe, Mitterrand apparaît hésitant : la réunification de l’Allemagne heurte son obsession très française de l’équilibre des puissances en Europe. Il l’accepte finalement mais en échange, le puissant voisin renonce à un élément essentiel de sa souveraineté : le deutschmark. L’euro est en marche. Le chef de l’Etat s’engage personnellement dans la dure bataille du référendum ratifiant le traité de Maastricht en 1992.
Relance de la construction européenne
Ainsi, si on regarde vers l’Ouest du Vieux Continent, le bilan est nettement plus flatteur pour le Président français. Celui-ci tient une place essentielle dans la relance et l’approfondissement de la construction européenne. Avec son complice Helmut Kohl, il confirme le rôle moteur du “couple franco-allemand”, marchant dans les pas de de Gaulle et Giscard. Les deux leaders s’entendent pour placer pour 10 ans Jacques Delors à la tête de la Commission européenne de Bruxelles : s’ensuivront les élargissements de la CEE à l’Europe méditerranéenne, le Marché Unique (libre circulation des biens, services, capitaux) et bien sûr la monnaie commune.
Européen convaincu, le chef de l’Etat socialiste voit cependant son bilan terni par plusieurs échecs. Tout d’abord les dérives ultralibérales d’une UE supranationale qui aurait fort déplu à de Gaulle : l’ouverture à la concurrence et le désengagement de l’Etat se confirment, ce qui déçoit certains de ses partisans. Ensuite, l’incapacité à enrayer le drame yougoslave lors de la sanglante guerre civile de Bosnie (1992-95) (mais il est vrai que le soutien de la Russie à son “frère slave” serbe a empêché la France d’être plus efficace dans le cadre de l’ONU).
Le génocide rwandais
C’est peut-être sur un autre terrain que l’impuissance mitterrandienne est la plus patente : la France, “gendarme de l’Afrique” depuis la décolonisation et les accords de coopération, ne peut éviter le génocide de 1994 au Rwanda. Mitterrand, qui avait pourtant tenté de faire de la prévention entre Hutus et Tutsis, sera ensuite accusé par certains de complicité dans les crimes commis, alors qu’il envoya la Mission Turquoise comme force d’interposition, malheureusement en vain. Ainsi, c’est aussi d’une trop grande ingérence dans les affaires africaines qu’il a pu être taxé. Dans un premier temps, il ne remet guère en cause les travers politico-économiques de la “Françafrique” et le soutien aux dictatures. Puis il semble vouloir moraliser l’action de la France : le discours de La Baule de 1990 conditionne l’aide économique fournie aux progrès de la démocratie dans les anciennes colonies. Sans grand succès.
Enfin, dans une ancienne aire d’influence française, le Proche-Orient, Mitterrand est le promoteur d’une politique équilibrée, ni pro-israélienne (avant 1967), ni pro-arabe (après) : il milite pour le droit à la sécurité d’Israël mais aussi pour celui des Palestiniens d’avoir un Etat. C’est d’ailleurs après une entrevue avec lui que Yasser Arafat déclare “caduque” la charte de l’OLP prônant la destruction de l’Etat hébreu. Toutefois, comme toujours dans cette zone depuis la crise de Suez de 1956, ce sont les Etats-Unis et Bill Clinton qui concrétiseront le processus de paix, par les accords d’Oslo en 1993.
Au final, Mitterrand aura tenté, avec plus ou moins de succès, de préserver les intérêts de la France, son rang (la plus grande des puissances “moyennes”) et son image (pensons à la bataille de l’ “exception culturelle”), au milieu de bouleversements historiques : l’entrée dans un monde toujours plus instable et complexe, dans une période de transition entre guerre froide et “nouvel ordre mondial”.