Le brutal « retour » de la Russie

Chaque semaine, l’équipe de Boulevard Extérieur prend position sur un sujet de l’actualité internationale.

Pour la première fois depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, la Russie a accru son territoire. L’annexion de la Crimée, entérinée par un référendum tenu à l’ombre des armes russes, a été célébrée à Moscou comme le « retour » de la Russie par Vladimir Poutine et cent mille personnes réunis sur la place Rouge. Il y avait bien eu le dépeçage de la Géorgie à la suite de la guerre de 2008. Mais l’indépendance purement formelle de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie n’était que des « zakouski » (hors d’œuvre), selon l’expression du romancier anglais Robert Lidell.

Parce que la Crimée a été russe pendant trois siècles avant d’être « offerte » à l’Ukraine par Khrouchtchev en 1954, Poutine se vante d’avoir réparé une « erreur historique ». Pour lui c’est le symbole d’une Russie qui rompt avec des années, voire des siècles, d’humiliation. Le président russe a proposé une interprétation de l’histoire de son pays pour le moins contestable. « Depuis le XVIIIème siècle, a-t-il dit, l’Occident a mené une politique d’endiguement de la Russie. Nous avons toujours été poussés dans un coin mais il y a des limites à tout. »

C’est faire l’impasse sur l’expansion de l’empire tsariste en direction de la Sibérie et du Caucase puis au temps de l’URSS sur l’avancée du « camp socialiste » jusqu’à l’Elbe qui séparait les deux Etats allemands au temps de la guerre froide. Il est vrai qu’avec la dissolution de l’Union soviétique en 1991, ce glacis avait fondu. Poutine avait dit que c’était « la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle », mais il avait ajouté : « ceux qui ne le regrettent pas n’ont pas de cœur ; ceux qui le regrettent n’ont pas de cervelle ». Poutine vient de montrer qu’il a plus de cœur que de cervelle.

Bien sûr, il n’en est pas (encore) à reconstituer l’URSS, a fortiori la zone-tampon qui la séparait de l’Europe de l’Ouest. Mais il a marqué un point important en détachant la Crimée de l’Ukraine qu’il espère ainsi déstabiliser pour longtemps. S’arrêtera-t-il à la péninsule de la mer Noire ? Il a affirmé qu’il n’avait nulle visée sur l’est et le sud de l’Ukraine mais il pourrait se sentir « obligé de venir en aide » à ses frères russophones comme il a répondu à l’appel des habitants de la Crimée qui n’étaient absolument pas menacés. Vingt-cinq millions de Russes vivent en dehors des frontières de la Russie. De fortes minorités d’origine russe se trouvent en Estonie, en Lettonie, au Kazakhstan, en Biélorussie… Les autorités de Transnistrie, une région séparatiste de l’ex-république soviétique de Moldavie occupée par l’armée russe, ont déjà manifesté leur volonté de suivre l’exemple de la Crimée et de demander à rejoindre la Fédération de Russie.

Comment les Occidentaux réagiront-ils ? Les Américains ont annoncé de nouvelles sanctions. Les Européens avaient décidé une riposte en trois phases. Ils sont passés à la phase deux au lendemain du référendum. Ajouteront-ils des sanctions économiques après l’officialisation de l’annexion à l’occasion du Conseil européen du jeudi 20 et du vendredi 21 mars ? Ou les Vingt-huit passeront-ils la Crimée par profits et perte ? Si tel était le cas, ce serait un feu vert donné à Vladimir Poutine pour poursuivre, aux dépens de ses voisins, ses visées expansionnistes.