En 1991, à peine libérés du joug soviétique, trois Etats du centre de l’Europe – la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie – décidaient de resserrer leurs liens pour aborder ensemble l’après-communisme. C’est à Visegrad, petite ville hongroise au bord du Danube, que leurs trois dirigeants, Vaclav Havel pour la Tchécoslovaquie, Lech Walesa pour la Pologne, Jozsef Antall pour la Hongrie, choisissaient, le 15 février 1991, d’affirmer la solidarité de leurs trois pays au lendemain du bouleversement provoqué par l’éclatement de l’Union soviétique. La date était symbolique : le 15 février 1335, dans cette même ville de Visegrad, les rois de Bohême, de Pologne et de Hongrie s’étaient rencontrés pour mettre fin à leurs querelles. Dans les dernières années du XXème siècle, leurs lointains successeurs jetaient à leur tour les fondations d’une union appelée à rassembler les trois nations au sein du groupe de Visegrad. Devenus quatre après la partition de la Tchécoslovaquie en 1993 et la proclamation d’indépendance de la Slovaquie, les Etats du groupe de Visegrad ont célébré en 2016 le vingt-cinquième anniversaire de leur association.
Le contexte de 2016 n’est plus celui de 1991. Les quatre pays sont entrés dans l’OTAN en 1999 puis dans l’Union européenne en 2004. Que reste-t-il aujourd’hui du projet initial défini il y a vingt-cinq ans par Vaclav Havel, qui fut son principal inspirateur ? Les objectifs fixés par l’ancien président tchèque ont-ils été atteints ? A quoi sert désormais le groupe de Visegrad ? Quelle est sa place au sein de l’Union au moment où les relations se tendent entre Bruxelles et plusieurs capitales d’Europe centrale ? C’est pour réfléchir à ces questions que les instituts culturels des quatre pays organisaient à Paris, le 12 octobre, au Centre tchèque, un débat sur le thème « Le groupe de Visegrad 25 ans après », animé par le politologue Jacques Rupnik, qui fut un proche collaborateur de Vaclav Havel lorsque fut fondé le groupe et qui demeure l’un des meilleurs spécialistes de la région.
Surmonter les nationalismes
Quelle était l’idée de Vaclav Havel lorsqu’il a lancé cette initiative ? Dans un discours fondateur prononcé devant le Parlement polonais en janvier 1990, l’ancien président appelait les pays d’Europe centrale, comme le souligne Jacques Rupnik, à « surmonter les nationalismes » que la période soviétique n’avait fait que « camoufler » en façonnant une « solidarité de façade » entre les Etats. Il les engageait aussi à s’appuyer sur l’héritage de la dissidence qui se battait, par delà les frontières, pour le retour de la démocratie. Il insistait enfin sur leur intégration à l’Union européenne, qu’ils devaient aborder « non pas comme des mendiants ni comme des prisonniers libérés mais comme des gens d’expérience qui peuvent apporter quelque chose à l’Europe ». Ces trois composantes du projet – le rejet des nationalismes, la construction de la démocratie, l’engagement européen – sont-elles encore présentes vingt-cinq ans après ?
Sur ces trois points, les avancées sont incontestables mais des doutes subsistent. Il faut se rappeler, explique Jacques Rupnik, les conflits qui n’ont cessé d’opposer ces Etats entre eux pour mesurer ce « grand acquis du groupe de Visegrad » qu’est l’apaisement des relations entre les pays de la région. Le voisin a cessé d’être perçu comme un ennemi, même si l’harmonie n’est pas encore parfaite. Pour autant, les nationalismes n’ont pas disparu, on assiste même à un retour de la nation, loin du « dépassement » auquel aspirait Vaclav Havel. Sur la question de la démocratie, les progrès ne sont pas moins évidents, mais des menaces continuent de peser sur l’Etat de droit, notamment en Hongrie et en Pologne, deux pays dont les dirigeants se montrent peu respectueux des principes de la démocratie libérale. Quant à l’engagement européen, troisième composante de l’esprit de Visegrad, il semble en recul au moment où les quatre Etats s’opposent à leurs partenaires européens sur l’accueil des réfugiés.
Rejet de l’immigration
S’ils peuvent parfois diverger, par exemple sur la réponse à la crise économique ou sur l’attitude à l’égard de la Russie, les pays du groupe de Visegrad affichent une unité sans faille sur l’immigration. Ils refusent de se voir imposer par les Européens un modèle de société multiculturelle dont ils jugent qu’il a échoué en Europe occidentale et qui ne correspond pas, selon eux, à leur histoire. Certes ce sentiment de peur à l’égard de l’étranger donne lieu, en particulier en Hongrie, à une exploitation politique mais il est profondément ancré dans les mentalités. Les spécialistes qui participaient au débat – Piotr Bilos pour la Pologne, Zoltan Garadnai pour la Hongrie, Dan Jurkovic pour la Slovaquie – ont estimé que cette fermeture ne durerait pas éternellement et que le groupe de Visegrad, qui finance des échanges avec les pays des Balkans et avec d’autres pays du voisinage comme l’Ukraine ou la Biélorussie, pouvait contribuer à une plus grande ouverture dans un proche avenir.