Le mythe de la modernisation victime des réalités

Frappée de plein fouet par la forte baisse du prix du pétrole dès 2008 sur fond de crise financière mondiale, l’économie russe commence à peine à se stabiliser. Le modèle économique construit par le Vladimir Poutine sur le seul fondement des matières premières a ainsi connu ses limites et les dirigeants sont à la recherche de solutions pour équilibrer l’économie russe, qui reste fragile et fortement dépendante des investissements étrangers. Avant le sommet des G8 et G20 à Toronto, le président Dmitri Medvedev a visité la Silicon Valley, en Californie, exemple de la « modernisation ».

 

Bien que le contexte général ne soit pas optimal, le moment pour mettre en place une réflexion qui devrait être suivie d’actes est certainement bien choisi vu l’histoire récente de la Russie. L’URSS avait en effet pris un retard substantiel dans le développement de tous les secteurs d’activité, y compris technologiques, par conservatisme idéologique.

L’ère postsoviétique n’a fait qu’empirer les choses, laissant le pays spolié et désœuvré. La tâche du successeur de Boris Eltsine était de rétablir la situation le plus rapidement et le plus efficacement possible.

C’est avec cet objectif en tête que Vladimir Poutine a fait des matières premières, dont regorge le vaste sol de la Russie, la base du développement de la puissance économique. Cette politique a rapidement porté ses fruits et permis par ailleurs à la Russie de constituer un fonds qui a servi à alimenter le budget depuis le début de la crise. La Russie apparaît plus stable qu’à la fin de la période communiste et que dans les premières années postcommunistes. Cette stabilité devrait donner l’occasion de rechercher des schémas alternatifs de développement. Le ralentissement des marchés fournit par ailleurs le temps nécessaire à la réflexion et permet de prendre du recul par rapports aux systèmes existants.

Partenariat pour la modernisation

Le pouvoir en place souhaite ainsi depuis peu mettre en œuvre une politique de modernisation des technologies, afin que celles-ci deviennent le nouveau moteur de l’économie russe, à la place des matières premières. Le président Medvedev vient d’exposer une nouvelle fois cette stratégie lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg puis lors de son passage à la Silicon Valley. Le projet de percée technologique met l’accent sur l’efficacité énergétique et les énergies nouvelles, les technologies médicale et pharmaceutique, le nucléaire, les technologies de l’information, l’espace et les télécoms. La Russie a commencé à en explorer les possibilités de mise en œuvre, à travers un partenariat avec l’Union Européenne, et avec une série de projets de loi ayant pour objectif de favoriser la concurrence et de créer un climat favorable aux investissements. 

L’UE et la Russie avaient élaboré un « Partenariat pour la modernisation » lors du sommet de novembre 2009 à Stockholm, développé au récent sommet de Rostov-sur-le-Don. Le partenariat prévoit un échange de technologies, des projets d’innovation conjoints, une coopération scientifique et un cofinancement. Les investissements européens représentaient en effet 80% des investissements étrangers en Russie en 2009, faisant de l’UE un partenaire privilégié pour la Russie. Les deux acteurs se sont également rapprochés pour faciliter les flux migratoires. La Russie vient d’ailleurs d’adopter une loi qui favorise le séjour de travailleurs étrangers hautement qualifiés, leur accordant le statut de résident fiscal et autorisant leur activité sans permis de travail.

L’exécutif a également élaboré une série de projets de loi, y compris pour abaisser l’imposition sur les gains en capital. Une commission consacrée à la modernisation a été mise en place, incluant douze personnes, notamment Igor Ivanov, l’ancien ministre des affaires étrangères, Petr Chelich, dirigeant de l’Union des consommateurs russes, Anton Danilov-Danilyan, ancien dirigeant du cabinet présidentiel et Igor Iourgens, directeur de l’Institut du développement contemporain. Le rôle de la commission est d’exprimer des avis sur la mise en place du projet de modernisation, qui inclut à ce jour l’objectif de construire une mégapole technologique dans la banlieue de Moscou.

 

La Russie est en train d’élaborer son budget pour les trois années à venir, ses lignes principales devant être définies avant fin juillet. Il est notamment prévu une dépense de plus de 250 millions d’euros pour améliorer la formation des étudiants, leur offrant un cofinancement pour des études à l’étranger et augmentant la dépense pour attirer des enseignants de renom dans les établissements d’études supérieures russes. Il n’est pas prévu de ligne budgétaire spécifique pour le projet de modernisation. Le gouvernement considère en effet que ce projet doit être soutenu par les investisseurs privés à un moment où les autorités doivent veiller à limiter le budget pour éviter d’accroître l’inflation.

Bureaucratie et corruption

Il reste cependant une série de problèmes à résoudre afin que la mise en œuvre du projet de modernisation soit effective. La corruption et la bureaucratie viennent en tête de liste. Elles sont les principaux freins aux investissements en Russie. Bien que Dmitri Medvedev ait fait de la lutte anticorruption son cheval de bataille, les mesures pratiques se font attendre. L’instabilité du cadre juridique et ses interprétations contradictoires, ainsi que l’absence de fiabilité du système judiciaire, ne font qu’ajouter au climat de méfiance des investisseurs à l’égard de la Russie. La Silicon Valley compte aujourd’hui de nombreux entrepreneurs russes ayant quitté le pays pour ces raisons.

Ce sont évidemment des questions complexes dont la résolution nécessitera un temps considérable. Il ne s’agit pas seulement de réformer le cadre législatif et juridique. Il faut aussi changer les mentalités. La politique de modernisation sera entamée avant que ces problèmes soient réglés, ce qui risque d’entamer ses chances de succès.

La modernisation est un thème ambitieux qui correspond bien à l’esprit scientifique des Russes. La Russie aurait tout à gagner à la rendre effective, afin de diminuer sa dépendance par rapport aux matières premières, attirer les investissements étrangers, empêcher la fuite des cerveaux vers l’Ouest et construire une économie performante et équilibrée. Dmitri Medvedev, le jeune blogger et utilisateur de Twitter, a lancé son offensive de charme pour convaincre les investisseurs étrangers de parier sur la Russie. Mais les Russes eux-mêmes devront faire de gros efforts pour s’adapter à un monde nouveau.