près les vacances d’été et les conventions Républicaines et Démocrates, le Congrès s’est brièvement réuni avant de se mettre en congé pour les six semaines avant les élections. C’est l’ajournement le plus précoce depuis 1960, l’année qui marque d’une certaine façon le début de la modernité présidentielle. Mais cette décision n’est pas surprenante car le 112e Congrès a été l’un des plus partisans de l’histoire récente du pays. Cette législature n’a voté qu’une centaine de lois (alors que la moyenne depuis 30 ans est de 300), et ses joutes idéologiques pleines de rhétorique sans signification réelle expliquent que ce Congrès n’est regardé favorablement que par 15% des sondés. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, ces mêmes députés devront cependant se réunir en novembre et décembre pour au moins voter un budget affrontant ce qu’on appelle la « falaise fiscale », ce choc budgétaire et social qu’imposera le 1er janvier l’expiration des réductions d’impôts Bush.
Les intérêts et les valeurs
Cette réunion d’un Congrès de « canards boiteux » devrait alors prendre en considération la voix populaire, qui aura ou bien accordé un nouveau mandat à Barack Obama, ou bien condamné ses choix politiques en élisant Mitt Romney. Dans la course présidentielle, Mitt Romney essaie de refaire surface après une convention qui n’a pas été à la hauteur et a été suivie d’une série de gaffes dont la plus récente est la vidéo prise lors d’une réunion de « fund raising » où il expliquait que les 47% de gens qui ne paient pas d’impôts ne voteraient jamais pour lui, et qu’il ne s’attendait pas à leur soutien. Le cynisme, et le fait d’exclure presque la moitié de la population ne peuvent que frapper les citoyens. Mais si j’avais fait partie des riches Républicains présents à cette réunion, j’aurais fait remarquer primo, que parmi ces 47% il y a beaucoup de seniors, et que ceux-ci ont voté Républicain à 59% en 2010 ; il ne faut pas scier la branche sur laquelle on est assis. Puis, secundo, j’aurais mis en question ce déterminisme économique qui oublie que les citoyens ne votent pas uniquement d’après leurs intérêts mais surtout en fonction de leurs valeurs, ce qui explique par ailleurs les succès Républicains depuis Ronald Reagan. Cette vision mécanique et matérialiste de la société n’est pas celle d’un homme qui a une sensibilité politique. Mitt Romney m’aurait peut-être répondu en bon « machiavélique » que la grande faiblesse d’Obama se trouve justement chez les ouvriers blancs[1] qui considèrent que la majorité des 47% sont des gens de couleur, des paresseux vivant des impôts payés par les autres, tout en se croyant « victimes » d’un racisme ambiant. En effet, il ne faut jamais oublier Machiavel !
Romney n’oublie pas le Florentin ! Comme s’il voulait vider par avance le sac de ses gaffes possibles avant le premier grand débat du 3 octobre, Mitt Romney a rendu publique le vendredi 21 septembre sa feuille d’impôts de l’année 2011 : il a versé 14,1% de ses revenus au fisc. Hélas, voulant éviter la gaffe, Romney en a fait une autre, plus petite il est vrai : la presse a relevé qu’il avait minoré les déductions qu’il pouvait réclamer pour ses contributions charitables (de plus de 4 millions !) afin de payer moins de 14% ! S’il tient à ce barème, c’est qu’il essaie de justifier le fait qu’il refuse de rendre publiques ses feuilles d’impôts du temps où il gagnait cette fortune qui lui permet de se consacrer à ce qu’il considère comme le bien public. Mais c’est une gaffe car les électeurs ne peuvent pas ne pas se demander ce que ce multimillionnaire veut cacher. Des comptes en Suisse, aux Antilles ou ailleurs ? Des investissements louches, par exemple dans cette Chine qu’il dénonce régulièrement ? Ou le fait d’avoir payé des impôts à un gouvernement étranger ?
Enfin, diront les plus cyniques, peut-être le candidat qui réduit la politique aux intérêts de classe voulait-il ne pas attirer l’attention des citoyens sur le fait que le code fiscal américain favorise le rentier qu’il est, qui paie un faible taux d’impôt sans se préoccuper de l’ouvrier[2] ?
Avec les citoyens ou devant le public
Mitt Romney est parti cette semaine en opération pour remettre de l’ordre dans sa campagne avant le débat du 3 octobre. Barack Obama ne sera pas de reste.
C’est le retour de la campagne active ; on constate par exemple, à regarder les horaires des deux candidats, que la semaine passée Romney a participé à onze réunions privées pour faire du « fund-raising » alors qu’il n’assistait qu’à cinq réunions publiques. Pour sa part, Barack Obama a ajouté à ses cinq meetings publics six réunions avec des donateurs. Il y a quelque chose de malsain, et de paradoxal, dans cette manière de faire campagne. L’argent qu’on récolte — et qu’on doit désormais récolter sans limite — sert à acheter… quoi ? Des publicités ! Ainsi, au lieu de se retrouver avec les citoyens, on peut se montrer, en direct, pendant trente secondes, devant un public rétrogradé à l’état de spectateur. La politique devient ainsi une sorte de spectacle. Et si les candidats en tirent la conclusion qu’ils doivent se consacrer à la préparation des débats comme à leur seule vraie rencontre avec le public, ces débats risquent d’avoir été tellement répétés avant l’entrée en scène qu’ils ne seront que des versions un peu plus longues du message qu’auront transmis à leur façon spectaculaire et anonyme les publicités.
Néanmoins, il ne faut pas désespérer : de la rencontre de deux acteurs pourra jaillir l’inattendu, et c’est pour cette raison qu’on regardera avec intérêt le premier débat qui aura lieu le 3 octobre.
[1] Ces ouvriers blancs, souvent catholiques et urbains, étaient traditionnellement des Démocrates fidèles au New Deal. Leur basculement dans le camp Républicain a été dû en grande partie au ressentiment contre la politique d’intégration raciale, puis à l’élargissement du « Welfare State » par Lyndon Johnson (qui refusait d’augmenter les impôts pour payer les coûts de la guerre au Vietnam, creusant ainsi le déficit d’une manière qui rappelle la politique de George W. Bush après le 11 septembre).
[2] Voir la tribune de Paul Krugman, « Disdain for Workers » dans le New York Times du 20 septembre. Krugman relève que le mot « ouvrier » n’a jamais été mentionné par Romney dans son discours à la convention de Charlotte. Par contre, le candidat supposait que « la liberté de créer un business » était la liberté fondamentale garantie par la constitution. Cela explique peut-être en partie le fait que l’autre mot non prononcé lors du discours était « Afghanistan ».