L’accord sur le nucléaire iranien, signé à Vienne le 14 juillet, a permis à Téhéran de revenir dans le jeu proche-oriental comme une puissance régionale sur laquelle on devrait pouvoir compter pour résoudre les conflits attisés par l’organisation « Etat islamique » (Daech).
A l’autre bout de l’échiquier, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, membre de l’OTAN, n’a pas tardé à réagir en autorisant l’armée américaine à utiliser sa base d’Incirlik dont elle l’avait auparavant privée pour combattre Daech. Six avions F-16 et 300 militaires américains vont pouvoir, à partir de la Turquie, participer à la lutte contre l’organisation islamiste armée présente sur un territoire qui chevauche la Syrie et l’Irak.
Le président Recep Tayyip Erdogan, fortement critiqué pour l’ambiguïté de son attitude face à Daech, a choisi dans le même temps de rompre avec les Kurdes du PKK renforcés par la victoire remporté sur Daech dans la bataille de Kobané avec l’apport de leurs alliés du parti kurde syrien du PYD.
Erdogan à la recherche d’une majorité
Sur le plan intérieur, les élections turques du 7 juin ont permis à l’AKP de l’emporter mais sans qu’une majorité absolue lui permette de former à elle seule un gouvernement. Une coalition gouvernementale avec le parti kémaliste de centre-gauche CHP, le parti nationaliste antikurde MHP ou le HDP prokurde, qui pour la première fois a dépassé la barre des 10% lui assurant des élus au Parlement, semble impossible. De nouvelles élections législatives pourraient avoir lieu en novembre. La rupture des pourparlers entre le pouvoir et le PKK ne serait pas étrangère à la volonté du président Erdogan de renforcer la position de son parti, l’AKP, en vue d’un prochain scrutin. Et d’obtenir une majorité au Parlement, qui lui permettrait d’instaurer le régime présidentiel dont il rêve.
Entre temps, la rupture des négociations avec le PKK d’Abdullah Öcalan est émaillée d’actions violentes de plus en plus fréquentes, augurant d’un durcissement de l’affrontement entre Kurdes et Turcs après deux ans de répit.
Embarras américain
Avec ce qui s’apparente à une réhabilitation de l’Iran dans le concert proche-oriental, les Etats-Unis de Barak Obama ont fait rentrer dans le jeu les alliés de Téhéran : la Syrie de Bachar el Assad et l’Irak. Si Bagdad ne pose pas vraiment un problème pour Washington dans la mesure où le combat contre Daech fait consensus, il n’en n’est pas de même pour la Syrie.
Sur le dossier syrien en effet, Washington doit tenir compte de trois alliés de poids : la Turquie, Israël et l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, de deux Etats fragiles : la Jordanie et le Liban.
Or c’est là que le bât blesse. La Turquie, l’Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe ne veulent plus de Bachar el Assad. Israël ne veut pas trancher : sa préoccupation est d’éloigner de ses frontières aussi bien le régime iranien et ses affidés que les mouvements islamistes sunnites soutenus par les Turcs et les Arabes du Golfe.
L’embarras de Barack Obama sur ce dossier paraît inextricable, ce qui a permis à Moscou de reprendre la main. Russes et Iraniens veulent remettre Bachar el-Assad dans le jeu, même s’ils ne poursuivent pas exactement les mêmes objectifs. Un embarras encore plus prégnant quand on observe la manière dont Erdogan a manœuvré pour éloigner le spectre d’un Etat kurde indépendant. Il a profité de l’autorisation donnée aux Américains de reprendre pied dans la base militaire d’Incirlik sous le prétexte de faciliter le combat contre Daech dont il se soucie comme d’une guigne pour reprendre la lutte contre le PKK.
L’heure n’est pas au consensus
Ce sombre tableau succède à la victoire diplomatique de Washington que représente l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Il n’augure rien de positif alors que la campagne présidentielle américaine pour les élections de 2016 est lancée.
Russes, Iraniens, Israéliens, Turcs et Saoudiens veulent peser sur l’orientation de la politique américaine au Proche-Orient et l’heure n’est pas au consensus rêvé par Barack Obama. Chacun des protagonistes a son propre agenda et Barack Obama ne peut contenter l’un ou l’autre que de manière partielle.
Trente-cinq ans après l’affaire des « Contras » qui a fait pencher la balance en faveur de Ronald Reagan en 1981, Téhéran a l’ambition de faire mordre la poussière au prochain candidat démocrate américain après que Barack Obama fut venu « manger dans sa main », en signant à Vienne un accord qui constitue pour le président des Etats-Unis une des réalisations politiques dont il tire la plus grande fierté.
Dans ce formidable jeu de dupes proche-oriental, chacun tirera un peu son épingle du jeu. Mais c’est Téhéran et Moscou qui risquent d’emporter la meilleure mise. Au bénéfice des partisans de la ligne dure.