Leçon de démocratie participative à Stuttgart

Depuis des semaines, les Allemands manifestent contre le projet de démolition de la vieille gare de Stuttgart et contre la construction d’un rand complexe souterrain qui amputerait une partie du parc environnant et détruirait des centaines d’arbres. Une médiation est encours mais ces manifestations ont donné un coup de fouet au Parti des verts qui pourrait être le grand gagnant des prochaines élections régionales prévues en mars 2011.

Depuis l’été, les Allemands se retrouvent en classe – en classe de démocratie. Le projet « Stuttgart 21 », projet de refonte totale de la gare centrale de Stuttgart et de construction d’une ligne TGV vers Ulm, n’est devenu ni plus ni moins qu’une expérience démocratique. Pourquoi ?

 

Cette expérience offre trois leçons :

 

Première leçon : le processus de planification d’un grand projet d’infrastructure est compliqué, lent, et ne produit pas toujours des résultats fiables. L’idée du projet « Stuttgart 21 » ne date pas d’hier. Elle est née il y a vingt-deux ans). Le projet a été présenté au public il y a seize ans. 

La vision des grands axes transcontinentaux (l’axe Paris-Bratislava, devenu fameux aujourd’hui, mais aussi ridiculisé – qui veut aller à Bratislava ?) et le besoin de moderniser la ligne ferroviaire Stuttgart-Munich afin de permettre aux ICE/TGV de rouler vraiment à grande vitesse, ont fait rêver les experts et les architectes. Ils ont proposé de profiter de l’occasion pour transformer la gare de Stuttgart (aujourd’hui en cul-de-sac) en gare de transit (pour gagner du temps) et de la transposer en sous-sol pour gagner du terrain constructible en centre ville. Bref, ils proposaient un projet visionnaire, un projet d’avenir pour sortir Stuttgart, la « métropole souabe », de son cloisonnement, de la désenclaver. 

Mais, c’est un projet compliqué, avec la Société fédérale des chemins de fer (Deutsche Bahn) comme maître d’oeuvre, la ville de Stuttgart comme autorité locale compétente pour le processus de planification, et le Land (région) du Bade-Wurtemberg qui en assure une part du financement.

En 1999, le projet a failli être abandonné. Trop coûteux, pas prioritaire. En 2001, l’activité administrative reprend, et en 2006, le Landtag (Parlement régional) se prononce en faveur du projet. En 2007 des négociations sont menées pour décider du partage des coûts. En 2009, un accord est signé entre la Deutsche Bahn, le Land du Bade-Wurtemberg et la ville de Stuttgart concernant le financement.

Pendant tout ce temps, les règles de planification ont été respectées, des dizaines de milliers de commentaires de citoyens ont été reçus, le projet modifié. Les travaux devaient finalement commencer cette année. Et ils ont commencé. Mais aussitôt, ils ont été contrariés par des manifestants de plus en plus nombreux. Ces manifestants n’appartiennent pas à l’habituelle jeunesse contestataire. Une grande partie fait partie de la bonne bourgeoisie souabe. Celle-ci reproche aux autorités d’avoir sous-estimé les coûts (volontairement, pour en cacher l’importance), d’avoir exagéré le besoin (surestimation de l’augmentation du nombre de passagers, sous-estimation de besoins plus urgents sur d’autres lignes) et d’avoir conclu avec des entreprises des accords contraignants avant d’avoir reçu l’aval du conseil municipal de Stuttgart. Bref, d’avoir créé des faits accomplis coûteux qui serviront à gagner relativement peu de temps sur un trajet pour lequel la demande n’est pas forte. Une leçon s’impose donc : plus un projet est compliqué, plus il tarde à se réaliser et plus les données changent, risquant de le remettre en cause.

Deuxième leçon : les pouvoirs publics se trouvent aujourd’hui dans une impasse. Des contrats sont signés. S’il n’y est pas donner suite, les autorités risquent d’être trainées devant les tribunaux. En revanche, la réalisation, au centre ville, ne peut être menée à bien que sous la protection de la police, de ses canons à eau et de ses gaz lacrymogènes. C’est l’image des autorités qui est désastreuse, non celle des opposants. D’un commun accord, sur proposition des opposants, un médiateur a été désigné pour essayer de détendre la situation. L’ancien secrétaire général de la démocratie chrétienne et ancien ministre fédéral des affaires sociales, l’octogénaire Heiner Geissler, tente d’établir un dialogue entre les autorités et les opposants, dont les représentants des Verts du Bade-Wurtemberg, afin de jeter des bases d’une décision « en connaissance de cause », selon sa propre expression.

Les audiences organisées par le médiateur sont publiques. On assiste, donc, à une tentative démocratique de détendre une situation politique hautement tendue, de réorienter, peut-être de renouveler, ou bien de réviser une décision prise selon les règles démocratiques, mais qui s’est avérée extrêmement difficile, voir impossible, à exécuter.

Le médiateur s’est donné six semaines pour arriver à des conclusions dont personne ne connait aujourd’hui la teneur. Une expérience démocratique in vivo.

Des conséquences politiques

Troisième leçon : cette expérience est d’autant plus importante qu’elle aura des répercussions politiques sérieuses à plusieurs niveaux. Le maire de Stuttgart ne joue plus aucun rôle. Sa carrière politique semble d’ores et déjà en ruines. La CDU du Bade-Wurtemberg, à la tête du Land depuis cinquante-sept ans sans interruption, risque de perdre la majorité lors des élections régionales du 27 mars 2011. La CDU et le FDP (Parti libéral), pour qui le Bade-Wurtemberg a été également un des fiefs les plus solides, n’arriveraient plus à former une coalition si les sondages devaient se confirmer le jour des élections. Un tel résultat aurait des effets pour toute l’équipe dirigeante de la CDU régionale et notamment pour Stefan Mappus, le jeune ministre-président qui se présente pour la première fois aux suffrages de ses concitoyens. Il avait remplacé M. Oettinger après la nomination de ce dernier à la Commission de Bruxelles.

Il y aurait aussi des répercussions pour la chancelière Angela Merkel, présidente de la CDU au niveau fédéral, et avant tout pour le vice- chancelier et ministre des affaires étrangères, Guido Westerwelle, président du FDP qui, depuis les 14,6% des voix obtenues aux élections fédérales il y a un an, ne peut que déplorer le déclin rapide de sa formation (au-dessous, dans les sondages, de la barre des 5% nécessaires pour être représenté au parlement). A Berlin, des spéculations sur un remplacement de l’une et de l’autre se font déjà jour.

Un ministre-président vert ?

Pour le SPD et les Verts, le 27 mars promet aussi d’être une date décisive. Les mêmes sondages donnent, depuis des semaines, un avantage confortable aux Verts par rapport aux sociaux-démocrates. Ceux-ci ont déclaré déjà qu’ils pourraient être les junior partners d’un ministre-président vert à Stuttgart – une autre première dans la vie politique allemande. Un tel gouvernement vert-rouge aurait la charge de gérer l’affaire « Stuttgart 21 ». Quel défi pour un attelage politique inédit !

Rien n’est encore joué définitivement. Il y a encore cinq mois avant le scrutin du 27 mars. Mais les Allemands sont confrontés à des scénarios encore jamais vus. Et les voisins et amis sont invités à se joindre au « cours de démocratie ».