Angela Merkel a entendu l’appel de François Hollande. La compassion ne suffit pas, avait dit la chancelière devant son Parlement avant de rencontrer le président de la République, qui était entre ses deux visites à Washington puis à Moscou. « Si l’on nous demande un engagement supplémentaire, nous ne le refuserons pas d’emblée », avait ajouté la chancelière. Elle savait déjà ce que souhaitait la France comme geste de solidarité concrète. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian l’avait dit à sa collègue allemande, Ursula von der Leyen, dès le lendemain des attaques terroristes à Paris : « Nous n’y arriverons pas tous seuls ». Paris attendait de ses partenaires allemands une implication militaire sur les fronts où l’armée française est la plus sollicitée : en Afrique et au Proche-Orient.
Dans un premier temps il a semblé que la Bundeswehr se limiterait à « soulager » l’effort français au Mali. Depuis janvier 2013, avec l’opération Serval puis l’opération Barkhane, la France, avec quelques pays africains, se bat dans la bande sahélo-saharienne contre divers groupes de djihadistes, affiliés à Daech ou à Al-Qaida. L’Allemagne qui est déjà présente dans l’état-major de la force des Nations unies et dans l’équipe européenne de formation de l’armée malienne va accroître son contingent : 650 hommes dans la Minusma et 250 pour la formation.
Mais elle va faire plus. Alors qu’actuellement elle n’est présente en Irak que dans l’entrainement et l’armement des peshmergas kurdes, le gouvernement de Berlin a décidé de participer directement à la lutte contre Daech. C’est une première. L’Allemagne enverra quatre à six avions de reconnaissance Tornado, un satellite pour le recueil et la retransmission des renseignements, un Airbus ravitailleur en vol et la frégate « Hamburg » pour accompagner le porte-avions « Charles-de-Gaulle ».
Sans doute la Luftwaffe ne prendra-t-elle pas part aux bombardements contre Daech. Ce serait un pas que ni le gouvernement, ni le Bundestag, ni l’opinion publique ne sont prêts à franchir. Cependant, les décisions qui ont été annoncées après la rencontre Merkel-Hollande de Paris témoignent d’une prise de conscience à la fois de la menace que Daech fait peser sur l’ensemble des pays européens – et pas seulement sur ceux qui sont en pointe contre le djihadisme – et de la nécessité pour l’Europe de mettre fin à une division désastreuse. Les vingt-huit membres de l’UE sont encore loin de percevoir les risques et les objectifs de la même manière, que ce soit face au terrorisme, à l’arrivée des réfugiés ou à l’attitude à adopter par rapport à la Russie. Mais il est essentiel qu’au moins quelques-uns d’entre eux donnent l’exemple.
L’Allemagne a trouvé à juste titre dans son Histoire des raisons d’envisager avec réticence le recours à la force armée. Elle s’est dotée de garde-fous institutionnels qui empêchent les décisions solitaires des dirigeants. La Bundeswehr s’est voulue une « armée parlementaire » et seul le Parlement peut décider de son emploi. Jusqu’à maintenant il a toujours accompagné une évolution commencée après la réunification avec les guerres dans l’ex-Yougoslavie ou en Afghanistan. Alors que l’Allemagne s’était tenue à l’écart de l’intervention en Libye en 2011, le président de la République et les ministres des affaires étrangères et de la défense l’appelaient depuis 2013 à prendre dans le monde des responsabilités conformes à sa puissance économique. Jusqu’à présent, Angela Merkel, soucieuse de ne pas contrarier la majorité de ses concitoyens, était restée très discrète sur le sujet. Les attentats de Paris l’ont sortie de sa réserve, au nom de la solidarité européenne, prise souvent en défaut.