Alors que s’achève le deuxième mandat de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne, la difficile relation entre les Etats membres et « Bruxelles » est une fois de plus à l’ordre du jour. La Commission est issue des Etats membres puisque sa composition dépend d’eux mais elle est appelée à les bousculer en incarnant face à eux l’intérêt supérieur de l’Europe. L’équilibre n’est pas facile à trouver. A son entrée en fonction M. Barroso s’était dit au service des Etats. Cette soumission lui a souvent été reprochée. A l’heure de son départ, il est accusé d’avoir affaibli la Commission en la mettant à la remorque des gouvernements nationaux. On attend de son successeur, Jean-Claude Juncker, qu’il redonne à cette institution la force d’initiative qu’elle a largement perdue et que, fort du soutien des citoyens qui ont voté pour ses listes aux élections européennes, il n’hésite pas à s’opposer, comme naguère Jacques Delors, à la volonté des Etats membres.
La tâche s’annonce rude pour le nouveau président au moment où plusieurs gouvernements nationaux, dont celui de la France, refusent de respecter les règles européennes que la Commission a précisément pour mission de faire appliquer. Les pays résistent aux injonctions de Bruxelles en invoquant des circonstances exceptionnelles et en demandant un sursis. La France, qui prévoit un déficit de ses finances publiques de 4,3% à la fin de 2015, soit bien au-dessus du plafond de 3% qu’elle avait promis d’atteindre, ne veut pas aller plus loin dans ses efforts d’économies.
« Un dialogue très serré »
La Commission la menace de donner un avis négatif à son projet de budget pour 2015. A terme, elle pourrait même la sanctionner pour déficit excessif. « Nous sommes dans un dialogue fourni, très serré », assure Michel Sapin, ministre des finances. Un compromis devra être trouvé au prix de concessions mutuelles. Egalement visé, le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, manifeste la même fermeté avant l’ouverture annoncée de discussions avec l’exécutif bruxellois. On voit bien que le pouvoir de la Commission et la liberté que se donnent les Etats de respecter, ou non, leurs engagements européens sont à l’épreuve.
Les Français et les Italiens, qui font volontiers cause commune depuis l’arrivée de M. Renzi aux commandes de son pays, ne sont pas les seuls à regimber quand l’Union européenne s’efforce d’imposer de nouvelles contraintes aux gouvernements nationaux. On vient de le voir à l’occasion du débat sur la lutte contre le réchauffement climatique, qui a permis aux Vingt-Huit de se mettre d’accord sur un projet apparemment ambitieux, mais dont l’exécution est en partie laissée à la bonne volonté de Etats. Plusieurs d’entre eux, à commencer par le Royaume-Uni et la Pologne, ont cherché à limiter le poids de Bruxelles dans la définition des objectifs fixés par le plan énergétique afin de donner plus de place aux revendications nationales. Le succès des négociations n’a été possible qu’au terme de concessions faites aux capitales les plus rétives aux obligations européennes.
La colère de David Cameron
Le premier ministre britannique s’est illustré une nouvelle fois dans cet exercice de rébellion eurosceptique en annonçant qu’il refusait de payer la rallonge budgétaire de 2,1 milliards d’euros que lui réclame la Commission. Cet ajustement, dû à un nouveau mode de calcul du PIB, frappe aussi l’Italie, la Grèce et les Pays-Bas. Il suscite la colère de David Cameron qui s’indigne de la démarche de la Commission et la juge « inacceptable ». « Le respect des traités, c’est pour tout le monde », a ironisé François Hollande, manière de jeter un peu plus d’huile sur le feu. La mauvaise humeur du premier ministre britannique, même si elle est surtout destinée à rassurer son électorat à l’approche des élections de 2015, s’ajoute aux protestations des dirigeants français et italiens pour entretenir un climat de méfiance entre les institutions européennes et les Etats membres.
Il est normal que les gouvernements interpellés par la Commission européenne manifestent leur mécontentement et appellent à des discussions pour tenter de mettre à profit les « flexibilités » autorisées par les traités. Mais on peut s’inquiéter d’une tendance à une renationalisation des politiques européennes quand chacun s’accorde sur la nécessité d’une meilleure coordination entre les Etats. Les dix-huit pays de la zone euro viennent ainsi de s’entendre sur la mise en place de « mécanismes concrets » permettant de « renforcer la coordination des politiques économiques ». La surveillance budgétaire fait partie de ces instruments. « Chaque jour qui passe fait la preuve que l’Union économique et monétaire est une construction inachevée », a déclaré l’eurodéputée socialiste Pervenche Berès au lendemain de l’approbation donnée par le Parlement (par 423 voix contre 209 et 67 abstentions) à la nouvelle Commission. Le rôle de Jean-Claude Juncker dans la période qui s’ouvre après le départ de José Manuel Barroso sera d’affirmer son autorité face aux Etats sans entrer en conflit ouvert avec leurs gouvernements. Il lui faudra beaucoup d’habileté et de force de persuasion pour empêcher que l’Europe ne s’affaiblisse sous les coups de butoir des uns et des autres.