C’est un soulagement. La plupart des dirigeants européens, à quelques exceptions près, n’ont pas hésité à adresser publiquement leurs félicitations au nouveau président-élu des Etats-Unis, Joe Biden. Donald Trump, le locataire actuel de la Maison Blanche, peut continuer à dénoncer une fraude massive que ses adversaires auraient organisée pour le chasser du pouvoir, il peut continuer à rêver et à faire croire à ses fidèles, que la victoire électorale, qui lui était due, lui a été volée - les amis et les alliés des Etats-Unis se préparent au renouveau d’une coopération amicale de longue date après le départ de ce „génie stable“ (comme s’est qualifié Donald Trump) qui l‘avait volontairement affaiblie.
La chancelière allemande Angela Merkel, peu connue pour faire part de ses états d’âme, vient d’exprimer plusieurs fois déjà sa joie d’avoir affaire, dès le 20 janvier, avec un ami de l’Europe avec lequel on pourra rétablir les relations transatlantiques si chères aux Européens et si importantes pour eux. Elle, qui, à la différence d’Emmanuel Macron, avait pris et gardé ses distances avec Donald Trump dès le début de sa présidence, exprime un optimisme prudent qu’on trouve rarement pendant cette période de crise mondiale. Les mauvais rêves qui occupent les nuits des amis des Américains sont-ils enfin passés ?
Attention ! La prudence est de mise. Comme à chaque tournant de l’histoire. On sait ce qu’on n‘aura plus à supporter mais on ne sait pas ce qui va suivre. On ne peut qu’espérer que tout ira bien, en tout cas mieux qu’avant. Mais Joe Biden, comme Donald Trump, est élu pour servir les intérêts des Etats-Unis. Et même si le président-élu démocrate ne proclame pas „America first“ comme son prédécesseur républicain et s’il sait apprécier, à la différence de Donald Trump, les alliances et les alliés, il va servir les intérêts de son pays et user des moyens d’action dont dispose une grande puissance comme l‘Amérique. Les contentieux entre les Etats-Unis et l’UE dans le domaine du commerce international, par exemple, vont persister.
La Chine premier adversaire
Joe Biden va appeler ses compatriotes à „acheter américain“ et s’efforcer de réduire le déficit commercial des Etats-Unis. La compétition dans le domaine numérique autour de ses industries, de sa réglementation, de son contrôle et de son utilisation à des fins de renseignement, continuera. La volonté de dominer les technologies de l’information sera toujours l’élément clé d’un leadership global américain. La course à la maîtrise des marchés financiers globaux ne va pas s’arrêter non plus. Bref, les Etats-Unis et l’Union européenne, mais aussi les nations européennes individuellement, sont et resteront en même temps des alliés et des concurrents. Cela ne va pas changer. On peut seulement espérer que cela se passera d’une manière plus civilisée, plus respectueuse des règles et des acteurs en jeu.
Les défis pour l’Europe, en tout cas, ne seront pas moindres. Certes, quand les Etats-Unis, à l’initiative de l’administration Biden/Harris, reviendra dans l’accord de Paris sur le climat ainsi que dans l’OMS (Organisation mondiale de la santé), ils seront de nouveau à nos côtés dans les luttes globales contre la pandémie et contre le changement climatique. Mais dans le domaine diplomatique classique, on ne reviendra pas au statu quo ante. D’abord et avant tout la nouvelle administration va continuer à cibler la Chine comme premier adversaire dans une compétition renouvelée à l’échelle globale entre les grandes puissances. Le „pivot to Asia“, proclamé par l’administration Obama/Biden, sera maintenu. Les alliés européens seront appelés, comme auparavant, à se ranger derrière les Etats-Unis dans cette compétition. Cela aura des effets sur leurs positionnements dans les domaines technologique (G 5, Huawei) et économique (investissements, transferts de technologie, nouvelle route de la soie) où Européens et Américains se trouvent aussi en situation de compétition entre eux. Cela concernera également le rôle de l’Otan, notre alliance transatlantique, dans cette compétition. Avec un engagement renforcé des alliés européens.
Face à la nouvelle administration américaine, l’Europe sera conduite, plus que jamais, à trouver une approche commune pour deux raisons : se faire respecter par l’allié américain comme partenaire sérieux et fiable dans les affaires globales, mais, en même temps, se faire respecter pour la défense d’intérêts proprement européens, en accompagnant les intérêts américains, et non en s’y soumettant. Les responsables européens en sont conscients. Il leur faut se mettre d’accord sur la manière d’y arriver.
Les ambitions de la Russie
Le défi posé par les ambitions révisionnistes de la Russie n’a pas disparu non plus. Joe Biden voit la Russie comme le plus grand danger pour la sécurité en Europe dans la mesure où Moscou n’a pas changé d’objectif : semer la division au sein de l’alliance. Or, les positions envers la Russie à l’intérieur de l’allliance sont loin d’être unanimes. Au lieu d’exploiter ces divergences, comme l’a fait Donald Trump, on peut espérer que Joe Biden va essayer de les surmonter. Après tout, la Russie est toujours la deuxième puissance nucléaire au monde et, par cela, l‘adversaire principal des Etats-Unis en termes militaires.
Mais la Russie est en même temps son partenaire incontournable dans les efforts de contrôle des armements nucléaires, y compris la non-prolifération, en particulier concernant l‘Iran. Les Européens ont tout intérêt à retrouver une place dans les débats qui ont peut-être une chance d’être rétablis. Pour Joe Baiden, l’Otan n’est pas „obsolète“, comme l’avait dit Donald Trump, et on peut penser que le futur président américain ne se laissera pas impressionner par Vladimir Poutine. Mais une rénovation de l’Otan reste à l’ordre du jour, en urgence. Il vaut mieux que les Européens y soient prêts quand Washington donnera son feu vert.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que la capacité d’entente entre l’administration Biden/Harris et ses alliés européens va dépendre de la marge de manoeuvre politique dont le nouveau président va disposer. Elle pourrait être moins importante qu’on ne le souhaite en Europe. Les démocrates n’ont pas réussi à obtenir la majorité au Sénat. Or, c’est la chambre haute du Congrès qui doit approuver les nominations du président aux multiples postes de la haute fonction administrative. Et c’est la chambre haute du Congrès qui est appelée par la constitution à ratifier les traités internationaux à une majorité des deux tiers. Sans un consensus large au Sénat, la portée des actions du président sera limitée.
De plus, l’aile gauche du parti démocrate, qui a soutenu Joe Biden à contre coeur pour en finir avec la présidence Trump, va essayer de peser sur l’évolution du parti. L’équipe Biden/Harris va donc être occupée par la politique intérieure. Elle va s‘efforcer de réunir durablement le parti et de „soigner“ les plaies de la société américaine divisée, comme l’a annoncé Joe Biden. La reconfiguration des deux partis s’impose aussi en vue des élections prochaines, celles de 2022 et surtout de 2024. La performance de la vice-présidente élue Kamala Herris déterminera si le parti démocrate a une chance d’aller au-delà des quatre ans de la présidence Biden. En raison de l’âge du président, c’est elle qui devra s’imposer comme candidate en 2024. Et avant même que Joe Biden et Kamala Harris ne prêtent serment le 20 janvier devant le Congrès, le président Trump restera en charge et peut encore leur nuire. Mais il y a de l‘espoir.
Detlef Puhl