La condamnation à perpétuité de Bo Xilai, l’ancien chef de la mégalopole de Chongqing, dimanche 22 septembre, n’est pas une surprise. Accusé de corruption et d’abus de pouvoir, son sort était scellé dès le moment où il a été exclu du bureau politique puis du Parti communiste chinois, au printemps 2012, et où il a été déféré devant un tribunal. La surprise est venue de l’attitude de l’accusé. Loin de confesser ses crimes selon la tradition stalinienne, Bo Xilai s’est défendu, a contesté les témoignages et contredit le procureur.
Le statut particulier de l’ancien hiérarque communiste n’est certainement pas étranger à cette attitude. Bo Xilai est un « prince » comme on appelle en Chine les descendants des huit « immortels » qui étaient les premiers compagnons de Mao Tsedong. Son père Bo Yibo a été emprisonné pendant la Révolution culturelle et réhabilité en 1986 par Deng Tsiaoping. Le nouveau chef du PCC Xi Jinping est aussi un « prince ». Non seulement il appartient au même milieu que Bo Xilai mais avant d’accéder au pouvoir suprême, il avait chanté les louanges du « modèle de Chongqing ».
Ce modèle était un mélange d’ouverture économique vers l’étranger pour financer des projets gigantesques et des infrastructures sociales d’une part, et le retour à un discours idéologique maoïste, d’autre part. Des chants « rouges » étaient imposés dans les écoles, les parcs, les usines, jusqu’aux hôpitaux psychiatriques. Bo Xilai se présentait implicitement comme la figure de proue de la gauche du PCC pour revendiquer une place parmi les sept membres du comité permanent du bureau politique, qui devait être renouvelé à l’automne 2012. Le paradoxe est que Bo Xilai a été évincé par ses pairs puis condamné alors que ceux-ci reprenaient à leur compte l’idéologie néomaoïste dont il était le défenseur le plus en vue.
Les accusations de corruption ne sont sans doute pas sans fondement mais des accusations analogues pourraient être portées contre beaucoup de dirigeants chinois passés et actuels. Même si Xi Jinping a fait de la lutte contre la corruption une priorité de son premier mandat, le procès et la condamnation de Bo Xilai sont d’abord un épisode de la lutte pour le pouvoir à Pékin, entre dignitaires que ne sépare aucune divergence idéologique.
Attendu comme réformiste, le président Xi Jinping s’est jusqu’à maintenant illustré plutôt par ses diatribes contre les idées de l’Occident, contre les menaces représentées par les défenseurs des droits de l’homme ou les partisans d’un Etat de droit. Il dénonce les « constitutionnalistes », c’est-à-dire ceux qui pensent que la Constitution chinoise doit être placée au-dessus de la politique du Parti. Et il prône un retour à Mao.
Cette volonté de reprise en main idéologique n’est sans doute pas contradictoire à court terme avec l’ouverture économique de la Chine, l’élargissement du rôle du secteur privé et l’enrichissement d’une partie croissante de la population. Au contraire. Elle a pour fonction de ressouder la société. A moyen terme, en revanche, elle souligne la contradiction et même l’incompatibilité entre la nature capitaliste – fut-elle largement publique – du système économique et l’essence totalitaire du système politique. Mais la priorité des dirigeants chinois est de gagner du temps et d’assurer la stabilité de leur pouvoir. Ils ne peuvent tolérer les déviants, du type Bo Xilai.