C’est à Silvio Berlusconi que Martin Schulz, qui sera l’adversaire d’Angela Merkel aux prochaines élections allemandes, le 24 septembre, doit en grande partie sa notoriété. C’était en juillet 2003. Martin Schulz était alors le bruyant chef de file des socialistes allemands au Parlement européen, réputé pour sa rhétorique volontiers agressive. Le chef du gouvernement italien venait d’accéder à la présidence tournante du Conseil européen.
Martin Schulz mène la charge avec brutalité. Il attaque Silvio Berlusconi à propos des déclarations de l’un de ses ministres, Umberto Bossi, qu’il compare à celles du chef de l’extrême droite autrichienne, Jörg Haider, lui lançant : « Vous n’êtes pas responsable du quotient intellectuel de vos ministres mais vous êtes responsables de ce qu’ils disent ». Il l’accuse ensuite d’avoir échappé à la levée de son immunité parlementaire grâce à la complaisance de la précédente présidente du Parlement européen, Nicole Fontaine.
"Kapo dans un camp de concentration"
Réplique cinglante de Silvio Berlusconi, qui va provoquer un scandale et faire connaître le nom de Martin Schulz : « Je sais qu’en Italie il y a un producteur qui est en train de monter un film sur les camps de concentration nazis. Je vous proposerai pour le rôle de kapo. Vous êtes parfait ». Sommé de s’excuser par le président du Parlement européen, Pat Cox, le chef du gouvernement italien refuse de se dédire. Il déclare : « Je ne retire pas ce que j’ai dit avec ironie si M. Schulz ne retire pas les offenses personnelles qu’il m’a adressées. Moi je l’ai dit avec ironie, lui l’a fait avec méchanceté ».
« Méchanceté » pour les uns, franc-parler pour les autres, le style de Martin Schulz est direct et parfois violent. Il lui vaudra quelques années plus tard cette pique de Jean-Marie Le Pen : « M. Schulz est un monsieur qui a la tête de Lénine et parle comme Hitler ». Un autre député européen, le Britannique Godfrey Bloom, le traitera, l’année suivante, de « fasciste ».
Entre-temps, Martin Schulz est devenu en 2004 président du groupe socialiste puis en 2012 président du Parlement européen. Réélu en 2014, il sera le premier à accomplir deux mandats (de deux ans et demi) à la tête de l’institution, contrairement à la tradition d’alternance qui prévalait jusqu’alors. Il est vrai que Martin Schulz, qui était cette année-là candidat à la présidence de la Commission comme chef de file des socialistes européens, a dû laisser la place à Jean-Claude Juncker, candidat du Parti populaire européen (conservateurs). En échange, Angela Merkel obtient qu’il soit confirmé à la tête du Parlement européen.
Critique de l’autoritarisme polonais
Martin Schulz, qui n’est pas seulement un orateur brillant mais aussi un habile tacticien, reçoit le soutien des eurodéputés, qui lui savent gré d’avoir renforcé l’image de l’institution parlementaire en la faisant bénéficier de sa forte personnalité et de sa présence médiatique. Selon Jean-Claude Juncker, il n’est pas seulement « un Européen convaincu » mais aussi « un Européen convaincant ».
Il garde le verbe haut, allant jusqu’à qualifier de « coup d’Etat », en 2015, la politique autoritaire du nouveau gouvernement polonais. « Ce n’est pas la première fois que les déclarations du président Schulz prennent ce ton et ce caractère », réplique, indignée, la première ministre, Beata Szydlo. Peu de temps auparavant, le président du Parlement européen avait critiqué le manque de solidarité de la Pologne dans la crise des réfugiés. Le ministre de l’intérieur avait dénoncé dans ce jugement une expression de « l’arrogance allemande ».
Né le 20 décembre 1955 dans la petite ville d’Eschweiler, près d’Aix-la-Chapelle, en Rhénanie du Nord-Westphalie, aux confins de la Belgique et des Pays-Bas, fils d’un fonctionnaire de police, Martin Schulz a grimpé l’échelle sociale à la force du poignet. Apprenti footballeur, il renonce à sa carrière sportive en raison d’une blessure au genou avant de se libérer d’une grave addiction à l’alcool. Elève au lycée privé de la Congrégation du Saint-Esprit à Würselen, non loin de son lieu de naissance, il n’entreprend pas d’études supérieures mais devient libraire dans cette même ville, dont il sera bourgmestre (maire) de 1987 à 1998. Membre du Parti social-démocrate allemand (SPD) depuis 1974, il entre au Parlement européen en 1994. Il sera réélu en 1999, 2004, 2009 et 2014.
Le retour des « démons » de l’entre-deux-guerres
En 2012, il succède au Polonais Jerzy Buzek à la présidence de l’institution. Combatif, volontiers provocateur, souvent autoritaire, il lui donne un certain lustre. « Personne ne peut nier que Martin Schulz a déployé beaucoup d’énergie pour imposer une interprétation plus démocratique des traités », déclare l’eurodéputée française Sylvie Goulard. Il est de ceux qui plaident pour que le chef de file du parti arrivé en tête aux élections européennes devienne le président de la Commission. C’est Jean-Claude Juncker, et non lui, qui bénéficiera de cette disposition. Mais le pouvoir du Parlement européen a été reconnu. Parlant aussi bien le français et l’anglais que l’allemand, Martin Schulz a su nouer des relations de confiance avec les principaux dirigeants européens, au risque de mécontenter les eurodéputés qui s’estiment quelquefois tenus à l’écart.
Au Parlement, il a défendu le principe d’une « grande coalition » entre les socialistes et les conservateurs, dans la continuité de cette « démocratie de consensus » sur laquelle s’est bâtie l’Union européenne. L’alliance entre les deux grands partis est devenue d’autant plus nécessaire que les élections européennes de 2014 ont été marquées par l’émergence d’élus eurosceptiques, qui oblige les formations pro-européennes à s’entendre.
La candidature de Martin Schulz à la chancellerie va mettre l’Europe au centre de la campagne législative. L’attachement à la construction européenne est au cœur de ses convictions. Comme l’est aussi le refus des nationalismes et des populismes. Le futur adversaire d’Angela Merkel redoute le retour des « démons » de l’entre-deux-guerres. Ces démons, dit-il, ont été placés sous contrôle par l’Union européenne. Son affaiblissement risquerait de leur laisser libre cours. Nous ne pouvons pas le permettre.