Comme les autres pays nordiques, la Suède est atteinte de plein fouet par la vague populiste qui ne cesse d’enfler en Europe. A la veille des élections législatives, qui auront lieu le 9 septembre, les grands partis suédois, à droite comme à gauche, s’inquiètent de l’irrésistible montée de l’extrême-droite, après avoir constaté sa progression parallèle en Finlande, en Norvège et au Danemark. A Helsinki, les Vrais Finlandais, devenus en 2011 le troisième parti du pays, participent désormais au gouvernement. A Copenhague, le Parti populaire s’est installé en 2015 comme la deuxième force politique. A Oslo, le Parti du progrès est associé au gouvernement. A Stockholm, les Démocrates de Suède marchent sur la même voie, au risque de mettre à mal ce qu’il reste du modèle suédois.
Etat-providence, liberté des mœurs
La Suède a été longtemps perçue en Europe comme le pays de la social-démocratie triomphante, assurant aux citoyens à la fois la protection d’un Etat-providence généreux et le bénéfice d’une grande liberté des mœurs. Le parti social-démocrate, garant de cette double faveur, a dominé la vie politique depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale. Il a occupé pendant de longues années le poste de premier ministre, d’abord avec l’inamovible Tage Erlander (1946-1969), puis avec l’infortuné Olof Palme (1969-1976, 1982-1986), assassiné en 1986, enfin avec deux dirigeants moins connus hors de Suède, Ingvar Carlsson (1986-1991, 1994-1996) et Göran Persson (1996-2006).
La droite a repris le pouvoir en 2006, sous l’autorité du premier ministre conservateur Fredrik Reinfeldt, mais depuis 2014 c’est de nouveau un social-démocrate, Stefan Lötven, qui dirige l’exécutif. Cet ancien syndicaliste, porté en 2006 à la présidence du syndicat IF Metall, dirige un gouvernement minoritaire, en coalition avec les Verts. Il a conclu avec la droite un accord par lequel celle-ci refuse de s’associer à l’extrême-droite pour rejeter le budget et empêcher la nouvelle équipe de gouverner. Cet accord, qualifié d’historique par Stefan Lötven, a été rendu nécessaire par la percée des Démocrates de Suède (extrême-droite), devenus la troisième force politique du pays, qui menaçaient de paralyser l’action gouvernementale.
Le bon bilan des sociaux-démocrates
Les élections du 9 septembre devraient confirmer le succès croissant du parti d’extrême-droite, qui pourrait devenir le deuxième parti de Suède. Selon les enquêtes d’opinion, il ferait presque jeu égal avec les sociaux-démocrates et devancerait les conservateurs. Parti anti-immigrés, comme tous les partis populistes en Europe, il a réussi à faire de l’immigration le thème majeur de la campagne, « Les Démocrates de Suède sont parvenus à imposer leur agenda électoral ainsi que leur vision de la réalité », souligne la politologue Corinne Deloy, chargée d’études au CERI, responsable de l’Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert-Schuman (1).
Pourtant, le bilan économique du gouvernement sortant est plutôt positif. Selon Corinne Deloy, « la Suède est la plus prospère et la plus égalitaire des sociétés européennes et ses finances publiques sont les mieux gérées des vingt-huit États membres de l’Union européenne ». Elle ajoute que « l’ensemble des indicateurs économiques du pays sont au vert ». En effet, « la croissance du PIB est supérieure à 3% depuis plusieurs années, les comptes publics sont en excédent, la dette ne cesse de se réduire et représente 38% du PIB, soit son taux le plus faible depuis 1977, le nombre d’actifs est le plus élevé depuis 2000, le taux de chômage s’élève à 6,1% (juin 2018) et est en recul constant ». Mais ces bons résultats ne suffisent pas à garantir la victoire des sociaux-démocrates.
L’immigration au centre de la campagne
« L’agenda des élections législatives est différent cette année, constate Karin Eriksson, journaliste au quotidien Dagens Nyheter, citée par Corinne Deloy. L’économie, la santé, les retraites ne constituent plus des questions décisives, ces thèmes ont été remplacés par les réponses à donner à la crise migratoire ». Observation confirmée par le politologue Nicholas Aylott, professeur à l’Université de Södertörn, également cité par Corinne Deloy : « En Suède, l’économie et les services publics ont toujours constitué les principaux enjeux lors des scrutins législatifs mais, au cours des deux ou trois dernières années, les thèmes de la loi, de l’ordre et de l’immigration sont devenus prédominants ». Pour la première fois, comme le souligne Henrik Oscarsson, de l’Université de Göteborg, « l’immigration est devenue le sujet quotidien d’une campagne électorale en Suède ».
Face aux critiques de l’extrême-droite, dont le chef de file, Jimmie Akesson, dénonce les dangers de l’islamisation, fustige le laxisme du gouvernement et réclame la sortie du pays de l’Union européenne, les sociaux-démocrates ont durci leur politique d’asile et d’immigration. Les conservateurs leur demandent d’en faire plus. « L’économie suédoise est peut-être florissante, le chômage en baisse, la consommation en augmentation et la confiance du marché au plus haut mais le gouvernement actuel ne s’intéresse pas aux enjeux sérieux que sont la sécurité et l’intégration des migrants », a déclaré l’une de leurs porte-parole. Elisabeth Svantesson. La droite serait-elle prête à négocier avec les Démocrates de Suède au lendemain du scrutin ? Ses dirigeants entretiennent l’ambiguïté. S’ils acceptent d’engager le dialogue, ils emprunteront le même chemin que leurs voisins scandinaves.
(1) Lire son étude « Elections législatives suédoises : percée attendue des populistes de droite » sur le site de la Fondation Robert-Schuman (www.robert-schuman.eu)