Les Etats-Unis ont toujours eu une attitude ambivalente vis-à-vis de l’unification européenne. Après la Deuxième guerre mondiale, ils ont poussé à une coopération économique entre les Etats du Vieux continent en en faisant une condition du plan Marshall. Mais ils ont très vite oscillé entre un soutien à l’intégration économique et une méfiance par rapport aux ambitions politiques de certains Européens, la France au premier chef. Oui à une Europe forte face au camp soviétique, non à une Europe souveraine qui deviendrait une concurrente des Etats-Unis.
Après la chute du communisme, les Américains ont encouragé l’élargissement de l’Union européenne aux Etats d’Europe centrale et orientale, parfois avec l’arrière-pensée que plus l’UE serait étendue, moins elle serait intégrée et donc moins en mesure de prendre ses distances avec l’autre rive de l’Atlantique. En 2003, le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, avait opposé la « nouvelle Europe » fidèle aux Etats-Unis à la « vieille Europe », hostile à la politique de George W. Bush.
Mais ambivalence ne voulait pas dire mépris. Avec Donald Trump, non seulement l’UE est passée par profits et pertes mais le président-élu s’accommoderait fort bien de sa dislocation voire de sa disparition. Le Brexit qu’il soutient bruyamment, contrairement à son prédécesseur, en marque les prémices. D’autres pays suivront, prophétise-il dans le premier entretien accordé à deux journalistes européens, le Britannique Michael Gove, du Times of London, qui ne se cache pas d’être un « Brexiter », et l’Allemand Kai Dieckmann, du journal populaire Bild Zeitung. Pour lui l’UE est une machine anti-emploi et anti-croissance. La crise des migrants est « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » après « l’erreur catastrophique » commise par Angela Merkel quand elle ouvert ses portes « à tous ces illégaux ».
Ce sont plus de soixante-dix années de politique transatlantique qui sont ainsi mises en cause. Depuis 1945, la coopération entre les Etats européens et les liens entre les deux grands ensembles occidentaux de part et d’autre de l’Atlantique, symbolisés par l’OTAN, étaient considérés à Washington comme une condition de la sécurité des Etats-Unis. Donald Trump balaie d’un revers de main cette stratégie. L’OTAN est « obsolète » et que l’Europe soit « unie ou divisée, ça ne joue aucun rôle », avoue-t-il. Même s’il déclare son engagement en faveur de la défense de l’Europe, ses paroles doivent être douces aux oreilles de Vladimir Poutine, qui ne cesse de vitupérer contre l’OTAN.
En même temps, elles inquiètent et « irritent » les Européens, pour reprendre un terme du ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. Mais il ne suffit pas de manifester de l’inquiétude ou de l’irritation. Ce que les Européens seraient en droit d’attendre de leurs dirigeants, c’est qu’ils se saisissent du mépris manifesté à leur égard par le nouveau président américain pour enfin prendre leurs affaires en mains. Pour cesser d’être, comme le disait Joschka Fischer quand il dirigeait la diplomatie allemande, « un global payeur » et devenir « un global player ».
Aux prophéties de dissolution lancées par Donald Trump et aux manœuvres de dislocation menées par Vladimir Poutine, la meilleure réponse serait un sursaut vers plus d’unité européenne, vers plus d’intégration diplomatique et militaire. En réponse aux provocations du 45ème président des Etats-Unis, les bonnes intentions européennes ne vont pas manquer. Elles risquent malheureusement de rester des incantations, vu l’état de déliquescence déjà atteint par l’UE. Qui, dans une double année électorale en France et en Allemagne, aura l’audace d’aller à contre-courant de l’euroscepticisme ambiant et de prôner l’indispensable bon en avant vers une véritable fédération européenne des Etats-nations ?