L’année politique 2013, qui s’est mal terminée pour Barack Obama, avait commencé en janvier par un Discours sur l’état de l’Union agressif et optimiste. Barack Obama venait d’être réélu en novembre 2012. Enfin, devait-il penser, ce deuxième mandat va me permettre de réaliser mon agenda ambitieux visant à transformer la politique washingtonienne. Or, la résistance républicaine (et la force du Tea Party) semblait aller à l’encontre du verdict des urnes. À l’automne, Obama reprenait pied à la suite du « shutdown » imposé par les ultras ; mais le démarrage raté de sa réforme des assurances de santé coûtait cher. Au moment où il a pris la parole pour le Discours sur l’état de l’Union le 28 janvie, seulement 46% des personnes interrogées ont une opinion favorable de sa présidence alors que 61% estiment que le pays va mal.
Ce Discours annuel du président est prévu par l’Article II, section 3, de la Constitution prévoyant que le Président doit « de temps à autre » présenter au Congrès des« recommandations » qu’il considère comme utiles au bien commun. Alors que les deux premiers présidents (George Washington et John Adams) présentent leurs Discours devant le Congrès, Thomas Jefferson remplace ce qui lui apparaît comme un Discours du Trône monarchique par l’envoi d’un message écrit. Et ce n’est qu’en 1913 que Woodrow Wilson se présente directement devant le Congrès. Avec les avancées des média, ses successeurs n’hésitent pas à élargir leur audience pour atteindre un public de masse. Ainsi, ce qui n’était qu’une simple obligation constitutionnelle devient un véritable enjeu politique.
Barack Obama, qui s’est fait connaître par la force de ses discours, a donc essayé de profiter de cette tradition. Mais les traditions peuvent perdre de leur force, surtout lorsqu’elles sont devenues de plus en plus formelles dans leur mise en scène pour les média. Pour ne citer que les chiffres de l’audience des discours précédents d’Obama, les auditeurs sont passés de 52 millions lors de son premier Discours sur l’état de l’Union en 2009, à 48 millions, puis à 42 millions, ensuite à 37 millions avant de se retrouver ce 28 janvier à seulement 33 millions (sur les 317 millions que compte le pays) !
Barack Obama reste un orateur de première classe ; on sent chez lui une confiance, un optimisme mais aussi une pensée mûre et réfléchie. Mais ces qualités ne lui ont pas permis de convaincre le Congrès d’abandonner sa tenace résistance à ses « recommandations ». Ainsi, au lieu de commencer son Discours par la phrase typique à l’adresse du Congrès, « L’état de notre Union est fort », il déclare : « c’est vous, citoyens, qui faites que l’état de notre Union est fort ». Un peu plus tard, il met les points sur les « i » en proclamant une « année d’action » qui aura lieu « avec ou sans le Congrès »
Ce Discours ne se démarque pas tant par ses propositions de lois, parfois innovantes, parfois déjà connues ; il se démarque surtout par le rappel des pouvoirs d’action autonome de la Présidence. En effet, l’exécutif ne peut pas faire de lois mais elle détermine la mise en exécution des lois par ordonnances, concernant par exemple l’immigration, l’environnement ou le salaire minimum fédéral ou encore dans les cas où aucune législation n’existe. Ainsi, Barack Obama poursuit : le salaire minimum sera augmenté immédiatement pour tous ceux qui seront embauchés dans les entreprises sous contrat public.
C’est peu, mais c’est un début, un signe, voire une promesse qui sera réalisée par la réduction des inégalités criantes. Or, le Président insiste avant tout sur l’égalité des chances, une distinction typique de l’idéologie américaine : « l’égalité des chances, c’est nous » insiste-t-il ! Pour bien marquer l’importance de cette forme d’égalité, il souligne le que le président de la Chambre (le républicain John Boehner) est le fils d’un cafetier et que lui-même a été élevé par une mère célibataire.
Il est important de bien identifier les buts de ce Discours. Obama entame la deuxième année de son deuxième mandat ; il aura à faire face aux élections de mi-mandat en novembre de cette année. Les sondages ne sont pas favorables aux démocrates qui pourraient perdre leur majorité au Sénat. Obama serait alors un véritable « canard boiteux », réduit à opposer au lieu de proposer. Il s’agit de mobiliser sa base sans pour autant se couper des électeurs indépendants. Cela explique en partie le fait qu’il ne déclare pas la guerre au Congrès, comme certains auraient souhaité ; il se dit prêt à travailler de concert avec les républicains (et il semble possible, par ailleurs, qu’un accord soit trouvé pour régler le sort des immigrés sans papiers, ce qui aurait l’avantage d’aiguiser les divisions au sein de la droite républicaine).
S’il compte aussi — comme d’autres hommes politiques par les temps qui courent — sur la reprise économique qui viendra, personne ne veut dépendre uniquement de facteurs hors de sa volonté. Cela explique sa promesse d’agir « avec ou sans le Congrès », une menace répétée à plusieurs reprises. Ses actions seront des marqueurs qui encourageront ses partisans à se présenter aux urnes en novembre 2014. En ce sens, le Discours sur l’état de l’Union était déjà une intervention politique.