Longtemps, la France fut appelée « la fille aînée de l’Eglise ». Mais, au début du siècle dernier, cette « fille aînée » s’émancipa, fit des fugues, eut des mauvaises fréquentations et parfois elle ne rentrait même pas à la maison la nuit.
L’athéisme, attisé par le modernisme, le scientisme, gagnait d’année en année de nouvelles « parts de marché ». Aujourd’hui, les curés se raréfient. Il faut en importer quelques brigades d’Afrique ou de l’Inde. Dans les villages, les églises sont parfois mortes. Quand il y a encore des messes, celles-ci rassemblent autour d’un prêtre de passage, quelques vieilles dames qui ont des têtes de souvenirs.
Le pape Jean-Paul II secoua un peu cette « fille assoupie » de l’Eglise, malgré le long calvaire de sa fin de vie. Son successeur, Benoit XVI, s’il fut reconnu et respecté, demeura un personnage lointain et énigmatique. Vient le tour du cardinal Bergoglio, devenu le pape François, et on dirait que les chapelles, les églises et les « chemins de croix » de la France frémissent, et c’est comme un printemps et comme des fleurs dans leurs verrières bariolées. Des couleurs reviennent, de la même manière que, dans un visage fatigué, se remet à circuler un sang frais.
On parle de « papamania » ou de « Françoismania ». Des convois se forment pour aller célébrer la fête de Pâques à Rome, en compagnie du pape François. L’agence « Terre entière » qui est spécialisée dans le voyage spirituel dit : « Notre circuit classique, appelé « l’église de Dieu qui est à Rome » ( allusion à l’épître de Saint Paul aux Romains ) retrouve des clients, alors qu’avec Paul VI, elle avait du plusieurs fois annuler. ce circuit .
Les demandes d’audience au pape, qui étaient rares depuis quelques années, se multiplient. Le livre « Les Jésuites », du pape François, avait été vendu à 6500 exemplaires depuis 2010. Aujourd’hui, il est retiré à 75000 exemplaires et il se vend à toute vitesse. Les églises de Paris bourdonnent, sauf quelques-unes, qui « boudent » le pape François. Dans une église du quartier de Saint-Germain des Prés, arrondissement à la fois chic, snob et littéraire, un curé n’a même pas dit un mot au lendemain de l’élection. Il a fallu que passe une semaine pour qu’il s’aperçoive qu’un nouveau pape était à Rome.
Cette bouffée de « papamania » s’explique d’abord par la figure de François, son aisance, sa simplicité, la tendresse « franciscaine » de sa foi, l’évidence de ses paroles, de ses gestes. Mais il y a sans doute davantage. Depuis quelques temps, on assiste en France, comme ailleurs, à un « réveil du religieux », ou plutôt à une « métamorphose de la demande de religieux », et aussi à la quête d’un nouveau système de relations entre le « religieux et le sécularisme »..
Le philosophe allemand Jürgen Habermas parle de « civilisation post-séculière ». Il ne veut pas dire par cette expression que le monde, devenu athée , doit aller plus loin encore dans ce sens et renforcer encore le séculier, comme on peut parler par exemple d’une « société post-moderne » qui serait plus moderne que la société moderne. Ce qu’entend Jürgen Habermas, c’est au contraire qu’il convient aujourd’hui de tenir compte de l’importance persistante et parfois croissante du « religieux dans les sociétés même sécularisées ».
Pour ma part, j’emploierais une autre image pour essayer de décrire ces nouveaux rapports entre le religieux et le séculier. Si un humain perd un membre, un bras ou une jambe, dans un accident, il ressentira pendant longtemps des souffrances, parfois atroces, dans le membre absent. On parle alors d’une « douleur fantôme ».
On pourrait utiliser cette image pour caractériser la passion et le respect que les athées, même dans un pays comme la France, portent désormais à l’Eglise, à son histoire, à ses papes, à ses cérémonies et liturgies, à Jésus Christ et à sa leçon, à Dieu enfin. Oui. On pourrait dire qu’un « esprit religieux fantôme » hante les consciences séculières. En attente, peut-être, des « clés du Royaume ».