Les citoyens de l’UE ont le droit d’accéder aux soins de santé dans n’importe quel État membre de l’UE et d’être remboursés pour des soins à l’étranger par leur pays d’origine. La carte européenne d’assurance maladie (CEAM) garantit depuis juin 2004 que les soins de santé nécessaires sont fournis dans les mêmes conditions et au même coût que les personnes assurées dans leur pays d’origine.
Pour autant, en termes de politique de santé, l’UE ne dispose aujourd’hui que d’une compétence d’appui. Toujours selon l’article 168, l’UE « encourage la coopération » et « complète les politiques nationales », sans s’y substituer. De fait, elle s’attache aujourd’hui essentiellement à agencer au mieux l’action des États membres.
Le précédent « vache folle »
Avec l’épisode dit de la vache folle dans les années 80, l’UE avait déjà été au centre des critiques. Bruxelles avait eu en effet tout au long de la crise un retard important par rapport aux mesures prises par le Royaume-Uni puis la France. Des pressions furent même effectuées sur les comités consultatifs afin qu’ils évitent tout « alarmisme » dans leurs conclusions, comme attesté par la fameuse « note Legras » rendue publique par la presse. Ainsi fallut-il attendre plus de six ans après l’interdiction des farines animales dans les aliments du bétail pour que l’UE interdise leurs exportations vers les autres États membres.
L’interdiction de l’utilisation des matériaux à risque dans la chaîne alimentaire des pays membres de l’UE n’intervint elle aussi qu’en 2000, à la suite de trois années de procédures, et celle concernant la distribution des farines animales aux animaux d’élevage, l’année suivante seulement. Il fut par ailleurs reproché à Bruxelles un certain manque d’autorité face à la crise, notamment à travers une réglementation peu draconienne par rapport à celles adoptées par les pays membres. En effet, il fallut attendre 1994 pour que l’Union européenne interdise les protéines issues de tissus bovins dans l’alimentation des ruminants et l’exportation de viande bovine provenant d’un élevage ayant eu un cas d’encéphalopathie spongiforme (ESB, maladie de la vache folle). Et ce n’est qu’en 1996 que l’UE imposa un embargo sur les bovins et leurs produits dérivés provenant du Royaume-Uni, avant de lever ce même embargo l’année suivante.
Pis : alors qu’en février 1996 les Länder allemands avaient fermé leurs frontières à la viande bovine britannique, ceux-ci subirent une première procédure de la Commission européenne, suivie d’une seconde en 1999 pour infraction aux décisions 98/256/CE et 99/514/CE d’autoriser l’entrée sur son territoire de viandes de bœuf britannique.
Une évaluation des pesticides jugée timorée
Autre reproche couramment adressé à l’UE dans le domaine de la santé : l’évaluation des pesticides par l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA) en fonction des risques, et non des dangers.
En mars 2015, le glyphosate, principal herbicide utilisé en Europe, a été classé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) basé à Lyon, comme cancérogène probable pour l’homme. Selon l’ONG Générations futures, le glyphosate se retrouve aujourd’hui dans la moitié des aliments consommés par l’humain. Or, depuis sa création à Parme en 2002, l’AESA conclut systématiquement son rapport annuel par la phrase suivante : « Les produits alimentaires analysés ne sont pas susceptibles de constituer un problème pour la santé des consommateurs. »
Le 2 mars 2016, six ONG environnementales (Global 2000, PAN Europe, PAN UK, Générations futures, Nature et Progrès Belgique et wemove.fr) ont déposé une plainte contre les responsables de l’évaluation du glyphosate en Europe, pour déni des effets cancérogènes et contre la possibilité de voir réautoriser sur le marché européen cette molécule.
L’année précédente, le gouvernement suédois avait lui-même saisi la justice européenne contre la Commission en raison de son inaction. Malgré un jugement en faveur du royaume, la Commission retarda les actions nécessaires et, selon la Suède « faillit à protéger la santé humaine et l’environnement contre les menaces des perturbateurs endocriniens ».
De profonds dysfonctionnements
Au-delà de telles « manœuvres de retardement », le plus inquiétant, selon les critiques de l’UE, seraient les efforts délibérés de la direction générale de la santé européenne pour affaiblir les garde-fous à la fois nationaux et européens.
Ainsi la crise du Covid aurait-elle, une fois de plus, mis en exergue les profonds dysfonctionnements au sein de l’UE.
Le succès de la stratégie vaccinale de nos voisins d’outre-Manche démontrerait, selon certains observateurs, l’échec patent de l’UE dans ce domaine, avec une bureaucratie inefficace dans ses négociations qui encourage une partie grandissante de territoires à court-circuiter Bruxelles pour s’approvisionner en Russie, voire… en Chine.
En dépit des échecs, à grands pas vers une Europe de la santé
En réponse à toutes ces critiques, la Commission a présenté dès novembre 2020 une liste de propositions afin de mieux préparer l’Europe face aux crises sanitaires à venir. Ces propositions constituent un premier pas vers une véritable Union européenne de la santé. En premier lieu, il est prévu d’accroître le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l’Agence européenne des médicaments (EMA).
Un ECDC au mandat renforcé disposera, selon sa directrice le Dr Andrea Ammon, de davantage d’outils de surveillance à disposition pour assurer une veille en temps réel de la situation épidémiologique sur l’ensemble de l’UE. Il sera également en capacité d’envoyer des équipes médicales pour assister les pays européens en proie à une crise sanitaire.
Quant à l’EMA, dirigée par Emer Cooke, il est prévu de la doter d’effectifs et de moyens supplémentaires afin qu’elle puisse contrôler et surveiller les stocks de matériel médical et de médicaments et prévenir des risques de pénurie. L’EMA deviendrait en mesure de formuler des recommandations sur les médicaments susceptibles d’être utilisés face aux maladies émergentes.
Enfin, l’agence coordonnerait les essais cliniques et les études d’efficacité sur les vaccins en cours de développement.
Une nouvelle autorité pour les urgences sanitaires
Il est par ailleurs prévu de créer d’ici la fin 2023 une autorité pour la réaction aux urgences sanitaires, Health Emergency Response Authority (HERA), sur le modèle de la BARDA américaine.
Créée en 2006, la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) est l’agence états-unienne responsable de l’acquisition et du développement de contre-mesures médicales contre le bioterrorisme, les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, les pandémies et les maladies émergentes.
L’agence gère notamment le projet BioShield, qui finance la recherche, le développement et le stockage de vaccins et de traitements que le gouvernement pourrait utiliser lors d’urgences de santé publique. La BARDA travaille étroitement avec l’industrie biomédicale pour promouvoir la recherche avancée, l’innovation et le développement de dispositifs médicaux, tests, vaccins et produits thérapeutiques. Elle achète et maintient également d’importants stocks de matériel, tels que médicaments, équipements de protection individuelle et vaccins.
Disposant de plusieurs accélérateurs de start-up situés à travers les États-Unis, le MedTech Innovator de la Barda, notamment, est un programme public-privé transformateur dont les activités de financement s’avèrent prometteuses. Pour le seul mois de janvier 2021, les start-up de la BARDA ont levé plus de 160 millions de dollars, après avoir levé 600 millions de dollars pour l’ensemble de 2020.
La nouvelle « BARDA européenne », HERA, aurait, comme sa consœur américaine, pour mandat d’investir très tôt dans la R&D pharmaceutique européenne, d’aider les industriels européens à accélérer le développement de leurs traitements, et de s’assurer ainsi une primauté sur les nouveaux traitements découverts. Outre l’apport en capital-risque, la HERA utiliserait des accords d’achats anticipés pour financer le fonds de roulement des industriels et garantir un accès et une livraison rapides des prochaines générations de vaccins.
La Commission européenne prévoir par ailleurs de développer son instrument d’aide d’urgence, créé en 2016 lors de la crise des réfugiés en Méditerranée. Selon l’Union européenne, ces fonds ont permis d’organiser des soins de santé de base, de prendre de meilleures mesures d’hygiène et de construire des logements temporaires pour les immigrants dans le besoin. L’initiative phare de ce programme est l’Aide d’urgence pour l’intégration et l’hébergement (ESTIA), qui aide les réfugiés et leurs familles à louer un logement urbain et les dote d’une allocation en espèces régulière.
Dès les premiers mois de la crise du Covid, ce même instrument a notamment permis de débloquer d’urgence la somme de 100 millions d’euros pour l’achat de tests antigéniques à résultat rapide, outre 220 millions d’euros pour le transfert de malades du Covid-19 depuis les régions sous tension et l’acheminement de matériel médical entre les différents pays européens. Fondé sur l’article 122, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’instrument permet de faire parvenir de l’aide au plus tôt et au plus grand nombre, dans un esprit de solidarité entre les États membres, donc en dehors du mandat originel d’aide aux réfugiés.
Enfin, on notera que la Commission a ouvert dès le 16 juillet 2020 une consultation publique pour élaborer une stratégie pharmaceutique afin de sortir de la dépendance aux matières premières asiatiques, aujourd’hui en situation de quasi-monopole.
L’ensemble de ces mesures fait que la santé, encore aujourd’hui considérée comme un parent pauvre de l’UE, pourrait rapidement s’avérer l’une de ses priorités.