Covaxin : le vaccin indien qui suscite polémique

Avec plus de 10 millions de personnes infectées sur un total de 1,3 milliards d’habitants, l’Inde enregistre aujourd’hui un repli sensible, même si la pandémie reste au cœur des préoccupations du pays. C’est ainsi que le Covaxin, vaccin « 100% made in India », a été validé en urgence le 3 janvier, marquant le début d’une large campagne de vaccination. Données insuffisantes, essais biaisés, ce vaccin contre la Covid-19 inquiète toutefois le monde médical.

Vaccination en Inde (francetvinfo.fr)
PUNIT PARANJPE/AFP

La crise actuelle risque d’accroître les inégalités sanitaires dans l’un des systèmes de santé les plus saturés et les moins financés au monde. Ces inégalités pourraient s’inscrire dans la durée, et les infrastructures sanitaires, déjà dysfonctionnelles, pourraient s’effondrer sous la pression de la hausse spectaculaire des cas de Covid-19 à laquelle l’Inde a dû faire face vers la mi-septembre, période au cours de laquelle le pays a enregistré plus de 90 000 cas quotidiennement. Cependant, dans le contexte actuel, l’Inde connait une baisse considérable du nombre de contaminations et de décès, à l’inverse de la tendance observée dans de nombreux pays du monde pour lesquels la situation continue à s’aggraver.

Un vaccin qui inquiète

La vaste campagne de vaccination débutée en Inde depuis le 16 janvier repose sur le Covishield, mis au point par AstraZeneca et l’Université d’Oxford, ainsi que sur le Covaxin, tous deux produits par le Serum Institute of India. Contrairement au Covishield, le Covaxin, a été élaboré par la firme indienne locale Bharat Biotech et le Conseil indien de la recherche médicale et a obtenu une "approbation d’urgence" début janvier. "Sûrs à 100%", avait alors affirmé le Contrôleur général des médicaments de l’Inde, V.G. Somani, ajoutant que le régulateur "ne donnerait jamais son approbation s’il y avait la moindre inquiétude en matière de sécurité".

Mais il reste important de souligner que l’approbation de Covaxin a été accordée avant même la conclusion de de la phase 3 de ses essais : il n’y a donc aucune certitude a l’égard des éventuels effets secondaires de ce vaccin. Le gouvernement a depuis indiqué que le vaccin avait été approuvé en « mode d’essai clinique », ce qui signifie que la campagne de vaccination fera office de phase d’essais. Loin de rassurer All India Drug Action Network (AIDAN), l’organisation indépendante de surveillance du secteur pharmaceutique s’est dite « choquée » et « déconcertée » face à la démarche qu’entreprend le gouvernement indien.

L’AIDAN ne demeure toutefois pas la seule à être alarmée par ces faits : le Covaxin alimente les préoccupations de nombreux autres spécialistes du domaine, dont un grand nombre de médecins très sceptiques concernant les essais cliniques. C’est notamment le cas de Sylvia Karpagam, médecin généraliste à Bangalore qui a déclaré : « Je n’ai pas confiance, il y a trop de flou derrière ce vaccin. Je ne le prendrai pas ». Par ailleurs, deux cents acteurs très reconnus dans le domaine de la santé ont alerté dans un communiqué sur les essais menés dans la région de Bhopal : il apparait que ces derniers sont réalisés sur des participants très pauvres, recrutés à la hâte et mal suivis. A la recherche de réels faits validant ces propos, l’AFP a révélé que dix des personnes interrogées ont affirmées ne pas avoir été informées de l’objectif précis des injections qui leur ont été administrées.

Un fort potentiel

Rabir Chatterjee, médecin et expert en programmes d’immunisation, a livré son avis sur ce vaccin indien qui donne lieu à une importante controverse : « Je suppose que le vaccin de Bharat Biotech, après avoir été évalué, pourrait être le meilleur, le moins cher et le plus pratique pour les pays en développement », a-t-il déclaré à l’AFP. Effectivement, les essais de phase II ont donné des résultats impressionnants avec le test de neutralisation de réduction de plaque (PRNT50), avec le sérum immunisant des bénéficiaires de Covaxin montrant la capacité de réduire le niveau d’infection virale des cellules dans la culture aux titres inférieurs après l’immunisation : la séroconversion et la production d’anticorps de neutralisation se sont produites pour 99,6% de sujets.

De plus, certaines études ont démontré l’efficacité du vaccin indien contre la variante dite britannique du virus. C’est notamment ce qu’indique les études publiées sur le site Web bioRxiv, qui se concentre sur des articles de recherche non encore certifiés par des pairs. L’étude à petite échelle, a été menée par le fabricant du vaccin lui-même. « Nous avons réussi à isoler et à caractériser le SRAS-CoV-2 des rapatriés britanniques en Inde avec toutes les mutations de signature de la variante britannique, », indique la version pré-imprimée de l’étude.

Des motivations politiques et économiques ?

L’empressement quant à la validation du Covaxin laisse de nombreux points d’interrogations et plusieurs scientifiques s’interrogent sur ses causes. Ces interrogations sont justifiées puisque, d’une part, le virus est en réel recul dans le pays et que, d’autre part, les dizaines de millions de doses du Covishield britannique déjà disponibles en Inde permettent largement d’ajourner la validation du Covaxin jusqu’à la conclusion des essais de phase 3. Les causes de cet empressement semblent être économiques : Bhârat Biotech affirme avoir vendu le fameux vaccin au Brésil et discuté de possibles ventes avec quinze autres pays.

Par ailleurs, au-delà du profit économique que cette vente pourrait générer, l’Inde saisi la chance de s’affirmer sur la scène politique mondiale. Effectivement, les responsables indiens ont affirmé que l’Inde va offrir, gratuitement, des millions de doses de ce Covaxin a certains de ses pays voisins tels que les Philippines, la Birmanie, la Mongolie, le Népal et le Sri Lanka. Présenté comme un « geste de bonne volonté » selon le gouvernement, cet acte revêt surtout d’une importance stratégique non négligeable, dans un contexte de rivalité régionale exacerbée avec la Chine, qui offre elle aussi des vaccins. Il n’y a donc pas de doute là-dessus : le Covaxin est une carte stratégique que joue l’Inde pour se frayer une place dans la course contre le Covid dans laquelle les pays du monde entier se disputent la première place. Entre scepticisme et validation, le Covaxin semble faire l’objet de toutes les discussions dans le domaine médical mais pour les effets secondaires de ce dernier, il faudra attendre des mois pour pouvoir se prononcer.