Il y a un an, le 17 septembre 2011, le mouvement « Occupy Wall Street » s’installait à Zucotti Park. On pouvait y voir une réponse de gauche à l’apparition du Tea Party aux élections de mi-mandat en 2010.
« Occupy », qui se proclamait la voix de 99% des citoyens, s’est répandu de ville en ville, jouissant pendant plusieurs mois d’un succès inattendu. Il réveillait les espoirs d’une jeunesse déçue par la banalisation du charisme d’Obama et attirait l’attention des électeurs sur les inégalités criantes qui avaient accompagné la mondialisation commerciale et la financiarisation de l’économie. Dans la foulée du Printemps arabe, le mouvement se voulait démocratique, dans tous les sens du terme. Cela revenait à refuser pour lui toute structure institutionnelle, dont celle qui aurait pu lui donner une prolongation politique. Ce refus, qui condamnait le mouvement à disparaître, a laissé tout de même des traces symboliques dans le réel. Le contraste avec le Tea Party a été évident… les « Tea Party » y ont perdu leur esprit de « mouvement ». Quelques uns des députés élus dans le raz-de-marée de 2010 survivront, mais cela dépendra du soutien apporté par l’argent des Super-Pacs, ce qui est une cruelle revanche des 1% (les plus riches, opposés aux 99 autres %) et surtout la démonstration de la nécessité de transformer le symbolique en force réelle sans pour autant perdre son âme.
Grève des enseignants à Chicago
S’il est un mouvement qui s’est donné une forme institutionnelle, c’est bien le mouvement syndical. Or lors de la grève des enseignants de la ville de Chicago la semaine passée, le mouvement syndical a été dénoncé comme une force conservatrice défendant des intérêts corporatistes face à l’intérêt général.
La situation de Chicago est hélas typique de celle des autres grandes villes du pays. 40% des élèves quittent l’école sans diplôme, et parmi ceux qui terminent l’école, seulement 8% sont vraiment préparés à poursuivre des études universitaires. Pour certains, ce sont les syndicats qui bloquent toute mesure de réforme ; il faudrait donc créer des écoles indépendantes dont la concurrence contraindrait les syndicats de l’école publique à s’ouvrir au changement. Or, la bataille à Chicago est menée par le maire, Rahm Emmanuel, qui a été le premier chef de cabinet de Barack Obama, Cela donne à cette grève une portée nationale. Barack Obama, qui s’était déjà montré favorable à la réforme , garde ses distances, sachant qu’il aura besoin des syndicats pour mobiliser les électeurs le 6 novembre. Mitt Romney, pour sa part, dénonce un parti pris pour les enseignants, contre les élèves. Les syndicats, eux, font remarquer que 87% des élèves viennent de familles pauvres, et que cette pauvreté explique le taux de réussite déplorable. Et là-dessus, ils n’ont pas tort !
47 % d’assistés et la magie du marché
La question posée par « Occupy » — comment lutter contre les inégalités de cette société globalisée ? Que proposent les candidats ? – est donc toujours d’actualité.
Barack Obama n’a pas besoin d’inventer de nouvelles propositions ; il insistera sur celles qu’il a essayé de mettre en œuvre, dans des conditions de crise aggravées par le refus de coopération des Républicains. Il dira que « la tendance » est bonne, la crise maîtrisée, et que l’économie commence à reprendre. Le challenger en revanche doit présenter un programme crédible aussi bien pour les électeurs en général que pour sa base partisane. Pour contenter cette dernière, Mitt Romney a choisi comme colistier Paul Ryan, président de la commission du budget à la Chambre des représentants et auteur d’un plan de réforme comportant des réductions d’impôts tout en éliminant le déficit budgétaire et en réduisant le poids du gouvernement. Mitt Romney fait ainsi appel à la faction « libertarienne » du Parti républicain, celle qui invoque le marché comme seul critère de toutes les valeurs et qui dénonce toute intervention gouvernementale comme une atteinte à la liberté. Le jeune Paul Ryan avait été converti à cette religion du marché par la lecture des romans d’Any Rand. Quand Mitt Romney dit que 47% de la population vit au dépens des autres, il reprend une distinction fondamentale chez Any Rand, celle des « producteurs » (makers) et celle des « dépendants » (takers). Seuls les producteurs sont vertueux ; les autres vivent des impôts des premiers – qu’ils veulent constamment augmenter, alors que la vision politique de Romney est fondée sur la baisse des impôts et la réduction de la taille de l’Etat.
Pour financer cette quadrature du cercle, il a recours à deux tours de passe-passe : il compenserait la réduction des impôts par l’élimination des « niches fiscales » — mais il ne précise pas lesquelles ; et il réduirait les dépenses de soins aux personnes âgées dans le programme « Medicare », par la création d’un « coupon » (voucher) qui permettrait à chacun de s’acheter sa propre police d’assurance — ce qui suppose que la magie de la concurrence en ferait baisser les prix. Ce recours à la « magie » du marché est peu convaincant.
Le retour des néocons
D’après plusieurs sondages récents, les électeurs commencent à douter des promesses républicaines ; cette semaine Barack Obama est jugé favorablement par 51 % des sondés, ce qui est son meilleur score depuis la mort de Ben Laden. Du coup, Mitt Romney s’est aventuré sur un nouveau terrain, celui de la politique étrangère.
Certains y voient un acte de désespoir. Mitt Romney a dénoncé le président pour avoir été en quelque sorte responsable des émeutes en Égypte, voire de la mort de l’ambassadeur américain à Benghazi, à cause de sa politique étrangère « apologétique » qui accepte le déclin du pays . Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail des échanges qu’Obama a résumés par une petite phrase en disant que Mitt Romney « a tendance à dégainer avant de viser ». Ce qui est important, c’est que cette polémique marque le retour d’une autre faction de la base du Parti républicain : les « néoconservateurs ». Sous la présidence de George W. Bush, ceux-ci prônaient une politique étrangère musclée, fondée sur une morale absolue méprisant la faiblesse dont les négociations diplomatiques seraient le signe. Ces faucons soutiennent aujourd’hui une sorte de « droit divin d’intervention préemptive » , en l’occurrence en Iran, selon les vœux du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dont les interventions dans la politique intérieure américaine deviennent choquantes. Dans ces conditions, le retour sur la scène politique de Dick Cheney, l’ancien vice-président de George Bush, n’est pas surprenant. Mais s’il encourage la base Républicaine, la majorité des Américains veut-elle vraiment réembarquer sur ce bateau ?