La campagne fut longue ! Les candidats aux primaires Républicaines commençaient à s’organiser il y a 18 mois, et la première des primaires a eu lieu il y a 10 mois, dans l’Iowa. Se présentant comme homme d’affaires capable de traiter une économie malade, l’ancien gouverneur (libéral) de l’Etat du Massachussetts devait convaincre les fervents conservateurs de son parti de sa bonne foi au travers d’une longue série de primaires où il ne craignit pas de jurer fidélité aux dieux de la tribu, même au risque de se contredire. Cela lui a coûté cher, en argent et en crédibilité. Pendant ce temps Barack Obama, qui n’avait pas à affronter de primaire, s’attaquait au « capitaliste vautour » qui délocalisait des emplois et ne comprenait pas les soucis de la classe moyenne. Les gaffes de Romney, par exemple son rappel que « les corporations sont des personnes », ont permis à Obama de partir favori dans la campagne d’automne. Le premier débat du 3 octobre a changé la donne ; le candidat qui avait su convaincre la droite de son parti s’y est présenté comme un modéré, et Barack Obama, comme un somnambule, l’a laissé faire !
Mais Barack Obama a repris pied lors des second et troisième débats. À la fin de cette course, il bénéficie de deux avantages, l’un subjectif et l’autre objectif. Le premier lui permet de souligner les positions contradictoires adoptées par son opposant, qui peut dire tout et son contraire parce qu’il refuse de donner les détails de son programme. Cela reflèterait une absence de caractère ; l’ancien gouverneur serait une girouette qui change de tendance avec le vent. D’autre part, Obama profite d’un avantage démographique constitué par les soutiens qu’il recueille chez les femmes, les hispaniques et la jeunesse[1]. N’ayant pas eu à faire face aux primaires, le parti Démocrate avait commencé à mobiliser très tôt ces couches sociales. C’est cette mobilisation — par les moyens classiques, mais aussi avec toutes les nouvelles technologies — qui devrait lui assurer la victoire dans les Etats clés.[2]
L’écart entre vote populaire et collège électoral
Tout de même, les jeux ne sont pas faits. Certaines variables se révèleront déterminantes lors du décompte des voix mardi soir.
On se souvient que l’élection de 2000 n’a été validée que le 12 décembre par un vote de la Cour suprême accordant à George W. Bush les voix de l’Etat de Floride alors que la nation avait donné à Al Gore une majorité de 500,000 votes populaires ! Rappelons que le président des Etats-Unis n’est pas élu au suffrage universel direct mais par un collège de grands électeurs désignés Etat par Etat. L’écart entre vote populaire et nombre de grands électeurs constaté en 2000 risque de se reproduire, car il y a huit Etats cruciaux cette année — l’Ohio, le Colorado, la Virginie, l’Iowa, le New Hampshire, le Nevada, la Floride et le Wisconsin — et c’est les électeurs de ces Etats qui décideront de l’avenir. Comme il semble probable que Barack Obama gagne la majorité des votes du collège électoral, on peut imaginer la fureur des Républicains qui fantasmaient depuis quatre ans sur les visées « anti-américaines » d’un président qu’ils considéraient comme illégitime. Comment se traduirait cette fureur ? Nul ne le sait, mais la thèse d’une victoire électorale sans majorité populaire est évoquée surtout par des commentateurs de droite ![3] Faut-il se méfier ?
Un enjeu crucial : la Cour suprême
Au-delà de l’élection du président, le scrutin du mardi 6 novembre a d’autres enjeux. On a dit que l’élection se jouerait sur l’économie selon le vieux slogan de Bill Clinton, « c’est l’économie, idiot ! ». Or, à regarder les diverses courbes qui mesurent la tendance économique, il semble bien que les prochaines années verront une reprise. Évidemment, le président quel qu’il soit, s’en réclamera pour confirmer ses idées. Mitt Romney y verra la consécration de sa vision d’une société dominée par un marché déréglementé, alors que Barack Obama y trouvert la validation de l’importance d’une justice sociale qui doit règlementer le marché pour le bien commun.
Autre enjeu crucial : la Cour suprême. Son actuelle majorité de droite n’a pas hésité à pousser très loin son autorité pour invalider des lois votées par le Congrès, comme on l’a bien vu pendant cette campagne marquée par les effets de sa décision dans le procès dit Citizens United. Cet arrêté interdisait toute réglementation des dépenses électorales par le Congrès, donnant ainsi naissance non seulement aux fameux Super-Pacs mais légitimant aussi des pressions sur les employés sous le prétexte prétendument bienveillant que l’élection de Barack Obama risquerait d’entrainer des licenciements !
Rappelons enfin que les électeurs sont appelés à voter pour de nombreux scrutins. Mardi, il y aura des élections qui concernent aussi le renouvellement de la Chambre ainsi que d’un tiers du Sénat (plus des gouverneurs et toute une série de mandats locaux).
Au début de la campagne, les Républicains caressaient l’espoir de prendre le Sénat et de garder leur majorité à la Chambre. Celle-ci sera sans doute réduite mais maintenue ; en revanche, le Sénat, avec son droit de faire de l’obstruction, semble hors de portée. Dans les deux cas, on a l’impression que les ardeurs antipolitiques du Tea Party se sont quelque peu refroidies, ce qui est une bonne chose pour la république !
[1] Pourtant, sa campagne n’a pas insisté sur le fait que le prochain président aura la possibilité de nommer au moins un juge à la Cour suprême, et que Mitt Romney a promis la nomination d’un juge opposé à l’IVG ; elle n’a pas non plus insisté sur un projet de réforme de l’immigration ; et l’éducation n’a pas non plus été un thème porteur de sa campagne.
[2] Soit dit en passant : le recentrement de Mitt Romney pourrait être le signe d’une perte d’influence du Tea Party. Est-ce que ses anciens militants se mobiliseront pour la cause d’un modéré ? Est-ce que leur haine d’Obama, devenue un fanatisme, sera assez forte pour les inciter à faire campagne pour Mitt Romney ? Curieusement, à la fin de la campagne, Romney se présente comme le candidat du « changement », ce qui était le slogan de Barack Obama en 2008 !
[3] Cela se trouve jusque dans le New York Times où l’éditorialiste conservateur Ross Douthat l’évoque dans sa tribune du 28 octobre 2012.